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LE MYSORE.

malaise et de tristesse. J’allais donc partir et continuer mon voyage, lorsque, cédant à quelques nouvelles considérations, il me fit dire qu’il était mieux et désirait me voir. Mon audience était pour midi, et un major de l’armée des Indes eut la complaisance de m’accompagner. À notre descente de voiture, nous trouvâmes une centaine de gardes armés de piques, de sabres et de longs fusils, rangés dans la cour d’honneur. Une musique assourdissante nous accueillit. Nous montâmes, à l’angle droit du palais, un escalier de bois à découvert, dont le palier, qui aboutissait à un long balcon, était garni de monde ; nous fûmes reçus sur les dernières marches par le ministre revêtu d’une grande robe de drap bleu. Il nous fit traverser une suite de petits appartemens assez ornés et de sombres et étroits corridors. De nombreux serviteurs tapissaient les murs, et, à mesure que nous passions devant eux, ils nous saluaient du geste et de la parole, avec ces profonds salamalecks en usage chez les Orientaux. Nous arrivâmes enfin, après avoir vu notre marche un peu retardée par la foule des courtisans, dans la salle de réception. C’était une assez grande galerie, ornée de tous les colifichets d’une décoration d’opéra, de riches tapis, de papiers dorés ou argentés, et de pierreries ou plutôt de verroteries de toutes couleurs. Trois marches creusées au milieu formaient un carré entouré de balustrades et de plusieurs pilastres montant jusqu’au plafond, tandis que l’un des côtés communiquait par une large estrade à un réduit disposé au fond de la salle. Cette tribune, élevée de quelques gradins, recevait mieux la lumière que les autres parties de l’appartement ; et c’est là que je trouvai le radjah dans sa pompe souveraine. Il était debout au moment où j’entrai ; pour me recevoir il s’assit à l’européenne sur son trône d’argent et de velours rouge. À peine les premières révérences furent-elles achevées, qu’il fit un bond et se jucha un peu comme un singe, les jambes croisées et les coudes appuyés sur les bras de son trône. Ce prince a une physionomie expressive, des yeux superbes, la peau bien noire, la bouche et les lèvres affreuses et d’un rouge incarnat très vif, ce qui tient à l’habitude continuelle de la chique indienne. Il est fort petit. Son visage jeune et sans barbe annonce de l’esprit naturel, de la finesse, et des dispositions à la gaieté. Son costume était entièrement composé de mousselines blanches, sans que rien le distinguât des indigènes de haute caste.

Après bon nombre de salams et de complimens de circonstance, la conversation commença et nous nous assîmes sur des fauteuils de velours, disposés exprès au-dessous de lui, à sa droite et à sa gauche. Pendant les premières phrases insignifiantes de l’entrevue, nous fûmes soumis à un cérémonial assez varié. Ce furent, au début, différentes essences parfumées qu’on apporta dans des flacons, et dont on nous aspergea