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dota ses états de quatre-vingts lieues de dépendances maritimes, sur une côte extraordinairement fertile et arrosée par une multitude de belles rivières. Enfin, maître de réaliser tous ses projets et de se tourner contre les Anglais, il fit comprendre qu’on pourrait leur enlever les riches dépouilles qu’ils venaient de recueillir dans le Mogol. Il ouvrit des négociations avec les autres grandes puissances dont il était devenu l’égal ; il chercha à les ébranler toutes, et devint l’ame d’une ligue qui, malheureusement, renfermait des élémens trop divers pour avoir de la durée. Abandonné par ses alliés dès les premiers jours, il combattit seul ses ennemis, après avoir vu ses vastes plans de destruction paralysés par leur habile politique. En effet, les Mahrattes d’un côté, le Soubabdhar ou Nizam du Deccan de l’autre, se laissèrent gagner à prix d’argent, et restèrent immobiles dans leurs quartiers, pendant que, rassurés sur leurs derrières, les Anglais s’empressaient de porter les premiers coups. Ils se jetèrent sur Pondichery, où ils entrèrent sans coup férir : la France, indifférente sur le sort de sa colonie, avait laissé Pondichéry ruiné, démantelé, sans un canon sur ses remparts ni une barque de pêcheur dans sa rade ; aucun des secours qu’elle avait promis n’arriva. Hyder seul lutta donc corps à corps avec ses mortels ennemis. Il fit long-temps la guerre dans le Carnatic qu’il ravagea dans tous les sens ; le cours de ses nombreuses campagnes offrit de nouvelles preuves de ses talens et de son audace. Un jour, entre autres, on le voit, battu par le général Smith, et après avoir trouvé le moyen de se dérober à sa poursuite par des marches et des contremarches multipliées, se présenter à l’improviste sous les murs de Madras, où il dicte des lois et des conditions de paix.

C’est au milieu de ces guerres sanglantes qu’il mourut, inconsolable d’avoir vu ses projets renversés par une habileté supérieure à la sienne, et d’être forcé de reconnaître que sa gloire avait été funeste à ses peuples. Il léguait à son fils, déjà associé à ses victoires, le poids bien lourd de vastes états, fruits de la conquête, et difficiles à conserver ; un pouvoir nouveau, contre lequel on était parvenu à ameuter les jalousies et les intrigues des cours voisines ; enfin, une haine pour les Anglais ouvertement déclarée et désormais irréconciliable. À l’école paternelle, Tippoo n’avait su apprécier que le courage, l’ardeur guerrière et la témérité des entreprises. Il n’hérita point de la sagesse, de la prévoyance, ni de toutes les qualités de l’homme d’état ; et l’infortuné sultan apprit plus tard, par la catastrophe qui bouleversa sa capitale et qui lui coûta la vie, que la bravoure seule était dans l’Inde une arme impuissante contre la politique européenne.

Peu de jours après avoir quitté Colar, je m’arrêtai à Bangalore, la ville la plus importante aujourd’hui de tout le Mysore, et dans laquelle je fus