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tant que durera le bail, dans l’adultère et dans la boue. Il se fait couvrir, par cette femme, d’un déshonneur apparent, qui lui laisse une souillure réelle ; il la couvre à son tour d’un déshonneur immérité, et qui rejaillit encore sur lui. Puis, lorsqu’écrasé du poids de tant d’opprobre, il veut, dans une assemblée solennelle et provoquée à cette intention, le rejeter à la face du monde, en lui disant : « Ce vice, cet opprobre, c’est le vôtre ; » le monde, qui n’a jamais vu ni vice ni fou pareil, lui tourne le dos, et fait bien. C’est la première fois, en effet, qu’un homme feint d’être marié pour feindre d’avoir une femme adultère, et de consentir à l’adultère de la femme, afin de pouvoir dire au monde : — Vous avez cru faire de moi une dupe, un mari trompé ? Eh bien ! c’est vous qui êtes dupe, car je consentais à ce que vous fesiez ; et je ne suis pas le mari de cette femme. Vous ne m’avez pas trompé, et vos amours n’ont pas l’avantage d’être des amours adultères, et ils ont fait ma fortune, à laquelle vous n’eussiez pas aidé sans votre luxure ! — C’est la première fois surtout qu’une femme, choisie et prise à cette fin, se voit accusée à tort d’avoir exactement et consciencieusement rempli les vues qu’on avait sur elle.

Tel est le roman intitulé le Chemin de traverse. Je ne descends pas à une plus minutieuse critique de détails. Les détails sont ce qu’ils peuvent sur un fond pareil. Quand M. Janin veut donner une passion ou une émotion à quelqu’un de ses personnages, il ne cherche pas à le placer dans les circonstances les plus propres à la faire naître. Il prend la première chose qui lui vient à l’esprit, et il en fait ce qu’il a besoin qu’elle soit. Il a brisé le lien qu’il y a entre l’ame humaine et les choses extérieures ; il a confondu tous les rapports, faussé toutes les harmonies. C’est chez lui que les oiseaux engendrent des serpens, les tigres des agneaux. Est-ce là une action ? Sont-ce là des caractères ? Est-ce là un livre, un roman ? Je crois pouvoir répondre hardiment : non.

Quant au style, il y a, certes, des parties bien traitées, et dignes, en tout, de l’auteur ; mais, en général, ce style est diffus, guindé, bruyant et faux. Chaque phrase semble porter des grelots et faire sonner sa sonnette. De là résulte une masse étourdissante de tons criards, dont l’effet, à la longue, occasionne une fatigue insupportable. L’irrésistible séduction qu’exerce sur l’esprit de M. Janin la coquetterie chatoyante d’un joli mot, le fait courir,