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déchiffrable. » Je ne puis faire le procès à M. Janin sur ce qu’il y a de peu vraisemblable dans l’érudition ainsi acquise de Christophe, sans le faire aussi à Pascal. Je crois cependant qu’il faut au moins pour cela un esprit très exercé à l’étude et à la comparaison des langues, rompu à leur mécanisme, bien approvisionné d’analogies, toutes conditions que le frère ignorantin ne remplit pas. Mais peu importe cette difficulté. Ce que je reprocherai à M. Janin, c’est d’avoir eu recours à une invraisemblance pour introduire dans son livre, non pas une beauté, mais une faute énorme et capitale : c’est d’avoir fait mentir Christophe à toutes les données du caractère primitivement annoncé ; c’est d’avoir rendu faible à la tentation, sensuel, indiscipliné, parjure, l’homme qui représente le beau moral, et d’avoir par là ruiné les conclusions de son livre. La suite de la conduite de Christophe répond à ce commencement. Il se révolte contre son supérieur et se réduit lui-même à courir les routes comme un vagabond.

Ne dites plus que Christophe est la ligne droite, et Prosper le chemin de traverse ; la ligne droite, c’est Prosper, qui, avant de partir pour Paris, s’est entouré de toutes les garanties de la prudence humaine ; Prosper, qui s’est muni de trois cents francs en petits écus, d’un passeport et de lettres de recommandation ; Prosper, qui, pour se faire accepter par le monde, a dévoré des humiliations, le mépris des maîtres et le mépris des laquais, et qui, pauvre enfant, grâce à son ignorance de la vie et à sa simplicité, tombe dans un guet-apens où on le dépouille, avant qu’il ait eu le temps de s’en apercevoir, de sa vertu naïve et de son innocence. Dites-moi ce qui a empêché Christophe de tomber au milieu d’une bande d’escrocs ou chez un baron de la Bertenache plutôt que dans les mains d’une demoiselle de Chabriant ? Dites-moi ce que Christophe eût fait, ce qu’il eût dû inévitablement devenir, si le monceau d’invraisemblances que vous avez accumulées autour de lui ne fussent venues à son secours. Celui qui méritait de tourner à mal, celui qui a pris le mauvais chemin, c’est Christophe, qui n’a rien fait pour lui-même, qui a tout fait contre lui-même ; Christophe, que vous ne semblez avoir mis dans une classe à part, à qui vous ne semblez avoir imposé des devoirs exceptionnels que pour les lui faire mieux violer tous les uns après les autres, que pour lui trouver plus d’occasions de chute et de démérite.