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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

de son oncle, faux baron, faux riche, faux galant homme, reçu partout et partout méprisé ou suspect. M. Janin l’annonce sur la scène comme type d’hypocrite, et même il se permet de faire, après Labruyère, la leçon à Molière, en s’écriant : Ce n’est pas celui-là qui eût dit : « Laurent, serrez ma haire avec ma discipline. » Et en fait, cet hypocrite consommé n’est qu’un fanfaron de vice qui étale avec un odieux cynisme, aux yeux de Prosper, les principes de son ignoble morale. Il n’est pas plus hypocrite qu’il n’est baron ; il est vil, audacieux et effronté, voilà tout. Si vous me demandez pourquoi on ne le met pas à la porte de toutes les maisons où il fait figure, je vous dirai que M. Janin ne l’a pas voulu. Je ne connais pas d’autre raison. Quant à l’action, elle n’apparaît pas encore dans cette seconde partie. Prosper, naïf villageois, est complètement étourdi par la faconde dévergondée de son oncle, sous le souffle duquel il joue un rôle purement passif. Aucune passion ne vient encore le stimuler et le faire vivre pour son propre compte. On lui dit : monte à cheval, il monte à cheval ; on lui dit : tue cet homme, il le tue. C’est ce que M. Janin appelle l’éducation de la ville. Les lettres où cette éducation est racontée, par Prosper lui-même, à son ami Christophe dont il est si loin, si l’on veut les considérer comme morceaux de style, comme autant de feuilletons sur les parfums, sur l’équitation, sur le duel, sur la toilette, sur le mariage, sont irréprochables, sont certainement au nombre des jolies choses que M. Janin ait écrites ; mais un volume tout entier consacré à l’éducation d’un héros qui ne doit durer que deux volumes, c’est trop. En général, le roman aime les enfans tout élevés, marchant tout seuls, et marchant bon train.

Christophe, au rebours du baron de la Bertenache, nous est donné comme un type de l’humilité, de la résignation, de l’abnégation chrétienne. C’est un ascète digne de la Thébaïde. Il aura cependant quelques petits péchés à se reprocher. Comme frère ignorantin, il a fait vœu d’ignorer le latin et le grec, et il a appris le grec et le latin ; il a même appris tout seul, sans dictionnaire, sans grammaire, sans professeur, tant il avait d’ardeur, d’intelligence, de persévérance contre son vœu. Pascal a dit : « Une langue, à l’égard d’une autre, est un chiffre où les mots sont changés en mots, et non les lettres en lettres. Ainsi une langue inconnue est