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N’ayant point de palais à lui donner pour séjour comme Molière, point de maison équivoque et graveleuse comme Rabelais, point de salon correct et de grand air comme Lesage, toutes choses qui ne sont plus de notre temps, il l’a logé comme il a pu, dans un feuilleton, dans un coin de journal, dans le nid de la vieille critique qui venait de mourir avec les poétiques qui la faisaient vivre. Voilà ce qui a effrayé cette portion des Débats qui avait couvé un critique, et qui a vu s’étendre tout à coup des ailes où l’on reconnaissait quelques plumes de Molière.

M. Janin excelle à attraper une saillie de caractère et à la faire ressortir par un trait, un seul trait de pinceau vif et saisissant. Il excelle, dans ses bons momens, à cacher, sous le jeu souvent futile des mots, une pensée qui éclate d’une lumière soudaine, qui frappe par sa justesse et sa vérité, autant que par la manière dont elle est présentée. Si M. Janin avait de la suite dans l’esprit et dans l’observation ; s’il savait concevoir tout d’un bloc un caractère et une action, et conduire l’un et l’autre d’un pas soutenu à travers le labyrinthe d’une fable dramatique, sans aucun doute il régnerait sur le théâtre avec bien plus d’empire et de gloire encore que dans le feuilleton. Malheureusement, comme nous l’avons dit déjà, M. Janin est un génie de rencontre et sans fixité ; malheureusement il est tout en miettes, tout en jets, tout en éclairs. Mais ces éclairs ne brillent qu’en lui, et voilà pourquoi, seul entre tous les critiques de profession, il n’est pas un critique de goût et de fait.

Suivez M. Janin. Il entre le soir au théâtre au nom de la critique et pour la critique. Vous croyez qu’à l’exemple de ses confrères il va lui faire hommage de toute sa soirée, qu’il ne va voir que pour elle, entendre que pour elle, penser que pour elle. Regardez ce papier jaune qu’on vient de lui mettre dans les mains, et sur lequel il a jeté les yeux par hasard. Adieu la critique, car ce papier lui a fait trouver un autre emploi de la soirée. Adieu la pièce qui se joue sur la scène, car il vient de trouver une autre pièce qui se joue dans sa tête, une pièce à un seul personnage qui lui a été fourni par ce morceau de papier jaune qu’il roule entre ses doigts. Le lendemain, quand vous chercherez son jugement sur le mélodrame ou le vaudeville qu’il est venu voir, vous trouverez une petite comédie en monologue, qui commence ainsi : « Depuis long-temps le public sentait le besoin d’un journal jaune. » Peut-on traduire avec