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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

Ainsi il a été donné au personnage le moins politique de France de faire l’article de politique qui a été le plus long-temps en possession de la publicité, un article qui a duré trois jours !

Son feuilleton parut d’abord réservé à moins de bonheur que sa politique. Il eut de la peine à s’établir. Ces manières nouvelles et inusitées scandalisaient le vieux Journal des Débats, rédacteurs et abonnés. On n’avait pas encore imaginé alors que le feuilleton pût être autre chose que de la critique et de la didactique, autre chose qu’une espèce de héraut attaché à la suite de la littérature pour annoncer les sorties et les entrées, avec le droit de représentation, mais qui ne pouvait, en aucun cas, franchir les limites de cette fonction. On n’avait pas imaginé qu’il pût être lui-même un genre de littérature à part, ayant son indépendance et son originalité. Il y avait une chose qui n’était pas encore comprise : c’est que, si, au xviie et au xviiie siècle, il y avait eu des journaux pour la littérature, il y avait désormais une littérature pour les journaux. De membre qu’il était, le journal s’était fait estomac. Or, le journal ne pouvait se conquérir cette position en se bornant, comme par le passé, à l’analyse des matériaux qui lui étaient fournis par la littérature en titre d’office. C’eût été se résigner à une fonction secondaire et dépendante. Il fallait qu’il s’adjugeât une partie du champ où les autres genres, ses aînés, étaient en possession de moissonner. Il fallait qu’il choisît, dans l’esprit public, une fibre oisive dont il pût réveiller et occuper l’activité. Pour la consommation de cette œuvre, la critique, et surtout la critique de feuilleton, était de tout point insuffisante. Aussi, je n’hésite pas à le dire, M. Janin n’est pas un critique.

Quelques-uns regardent M. Janin comme ayant recueilli, dans le Journal des Débats, par l’intermédiaire de Geoffroy et Duvicquet, la tradition de la critique française telle que Fréron l’avait laissée. C’est établir une filiation bien nette, mais bien contestable. M. Janin n’a aucune tradition manifeste ; il ne descend en droite ligne de personne, de Fréron moins que de tout autre. M. Janin est un comique. Il a ouvert l’asile du feuilleton à la comédie transfuge du théâtre. M. Janin, arrière-bâtard de Molière, en est aujourd’hui l’héritier le moins indirect. Il a recueilli le génie comique français, cette grande illustration déchue qui a traversé des fortunes si diverses depuis Rabelais jusqu’à nous.