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vention s’étant présentée, Sieyes, qui avait refusé d’être directeur, accepta les fonctions de ministre plénipotentiaire à Berlin. Le moment était beau et grand. Les victoires qui avaient conduit aux traités de paix avec la Prusse, la Hollande et l’Espagne, avaient été suivies de victoires encore plus éclatantes et plus décisives, qui avaient obligé l’Autriche à accepter la paix de Leoben. Toutes les vieilles armées aristocratiques de l’Europe avaient succombé devant ces bourgeois d’abord dédaignés et alors redoutés, dont le temps était venu, qui forcés de prendre l’épée s’en étaient servi comme naguère de la parole, comme auparavant de la pensée ; qui étaient devenus d’héroïques soldats, de grands capitaines, et avaient ajouté à la formidable puissance de leurs idées les prestiges de la gloire militaire et l’autorité de leurs conquêtes.

La paix était faite avec toutes les puissances continentales qui avaient été en guerre avec la France ; les conditions en avaient été réglées avec l’Autriche à Campo-Formio, et allaient être discutées avec l’empire germanique à Rastadt. Le jeune vainqueur de l’Italie, ne trouvant plus de guerre en Europe, était allé exercer son génie et continuer sa gloire en Égypte. Il ne restait en dehors des puissances pacifiées que l’Angleterre et la Russie. Ce fut sur ces entrefaites que Sieyes fut envoyé extraordinairement à Berlin.

Le directoire craignait une nouvelle coalition de l’Angleterre, de la Russie, de l’Autriche, dans laquelle on chercherait à entraîner la Prusse. Il donna pour mission à Sieyes, dans ses instructions secrètes, de proposer au gouvernement prussien une alliance offensive et défensive, à laquelle prendraient successivement part l’Espagne, la Suède, le Danemarck, la Hollande, et plusieurs princes de l’Empire. Il devait lui offrir, en cas de guerre, des agrandissemens vers le nord et vers l’est, en exécutant la sécularisation des états ecclésiastiques, qui fut réalisée trois ans plus tard à Lunéville, et de former une confédération germanique que Napoléon organisa après la paix de Presbourg. S’il ne réussissait pas dans cette proposition, il devait se replier sur la neutralité de la Prusse et la maintenir avec force. On avait fait choix du négociateur le plus favorable au système prussien et le plus considéré en Allemagne.

En remettant ses lettres de créance au jeune roi de Prusse, qui venait à peine de monter sur le trône, Sieyes lui dit : « Sire, j’ai