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LA VALACHIE ET LA MOLDAVIE.

vaine prophétie, elle est près de nous, on l’entrevoit déjà. Mais les calamités du dénouement, qui pourrait les deviner ? Le triomphe définitif de la civilisation et de la liberté, à quel prix sera-t-il acheté ? Qui peut le dire ?

Nous ne répéterons pas de ridicules et vulgaires déclamations contre l’ogre du Nord. Nous sommes de ceux qui estiment la marche habile et sage de ce gouvernement. Que la Russie civilise l’Asie entière, c’est sa haute vocation, c’est sa gloire ; mais, au nom de Dieu ! qu’elle n’envoie pas ses secours là où, au lieu d’être utile, elle apporterait une perturbation générale. L’Europe n’a pas besoin de ses secours ; la Turquie européenne seule pourrait y trouver de l’utilité : cette petite partie de notre monde recevra aisément de l’Europe même son remède et sa guérison.

En résumé, s’obstiner à maintenir le gouvernement turc, soit par respect pour le statu quo, soit parce qu’on espère une régénération mahométane, c’est faire de la Turquie la proie assurée de la Russie. Il faut, soit avec la Russie, soit sans elle, rendre le pouvoir aux populations chrétiennes sur la régénération desquelles on peut véritablement compter. On pose ainsi une limite à cette ambition démesurée, qu’on ne peut blâmer, tant les circonstances la favorisent ; on arrête cette marche envahissante, dont on ne s’aperçoit qu’au moment précis où personne ne peut plus l’arrêter ; on met fin à ce système de ruse et de persévérance qui a tourné tous les obstacles, déjoué toutes les combinaisons ennemies, et qui continuera sa conquête, si on ne lui oppose un vigoureux plan de bataille. Par là on coupe à la racine ces projets, ces tendances, qui n’appartiennent ni à un ministre, ni à un souverain, ni même à une dynastie, mais à la nation russe tout entière. Ce peuple, barbare ou non, a néanmoins une pensée nationale qui est à lui. Là, le jeune homme comme le vieillard, le soldat comme le général, l’esclave comme le boïard, tressaillent lorsque le mot Tzarigrade (Constantinople) vient retentir à ses oreilles. C’est que depuis neuf cents ans, depuis le grand Oleg, Oleg, fils de Rurick, fondateur de l’empire russe, ce peuple n’est bercé que de cette seule et unique idée : la prise et la possession de Constantinople ! C’est là le terme de ses souhaits, de son bonheur, le comble de sa gloire, il n’en rêve pas d’autre ; c’est sa terre promise ; il veut l’avoir, il ne vit que pour la conquérir. Et en présence de ce fait extraordinaire on met, quoi ?