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SIEYES.

sion sur les biens du clergé. Il regardait la dîme comme l’impôt territorial le plus onéreux et le plus incommode pour l’agriculture. Il voulait donc qu’on l’abolît. Mais, comme elle représentait environ 70,000,000 de rente, il pensait qu’on ne devait pas en faire cadeau aux propriétaires fonciers, mais obliger ceux-ci à la racheter, afin de se servir de l’argent qui proviendrait du rachat pour payer la dette publique et diminuer les impôts. Son opinion n’ayant point prévalu, et la dîme ayant été simplement supprimée, il dit le fameux mot : Ils veulent être libres et ne savent pas être justes.

Attaqué à cause de ce mot, il prit de l’humeur et commença à se taire. Ses théories sur le jury qu’il voulait établir en matière civile comme en matière criminelle, en séparant le jugement du fait de l’application du droit, ayant succombé devant l’opinion des légistes de l’assemblée, son humeur s’accrut encore, et il se renferma dans un silence plus obstiné. Aussi, lorsqu’en mai 1790, on discuta le droit de paix et de guerre, et que Mirabeau, si puissant dans cette grave discussion, présenta à l’assemblée son projet d’arrêté en faveur du pouvoir royal, il s’écria à la fin de son premier discours :

« Je ne cacherai pas mon profond regret que l’homme qui a posé les bases de la constitution et qui a le plus contribué à votre grand ouvrage, que l’homme qui a révélé au monde les véritables principes du gouvernement représentatif, se condamnant lui-même à un silence que je déplore, que je trouve coupable, à quelque point que ses immenses services aient été méconnus, que l’abbé Sieyes… je lui demande pardon, je le nomme… ne vienne pas poser lui-même, dans sa constitution, un des plus grands ressorts de l’ordre social. J’en ai d’autant plus de douleur… que je n’avais pas porté mon esprit sur cette question, accoutumé que j’étais de me reposer sur ce grand penseur de l’achèvement de son ouvrage. Je l’ai pressé, conjuré, supplié au nom de l’amitié dont il m’honore, au nom de la patrie… de nous doter de ses idées, de ne pas laisser cette lacune dans la constitution ; il m’a refusé ; je vous le dénonce. Je vous prie à mon tour d’obtenir son avis qui ne doit pas être un secret ; d’arracher enfin au découragement un homme dont je regarde le silence et l’inaction comme une calamité publique. »