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les autres parties des principautés, la propriété foncière est fort morcelée. Cette masse de petits propriétaires n’offre jamais l’exemple de l’abrutissement, de la dépravation des classes souffrantes qui composent la lie des sociétés européennes. Une poignée de Bohémiens, ilotes de ce pays, croupissent dans un esclavage et une barbarie que les charmes de la vie nomade et paresseuse leur rendent chers et préférables à tout. Leurs maîtres exigent d’eux un léger tribut annuel, et ne s’en embarrassent pas autrement.

La douceur et la facilité des mœurs nationales sont aussi remarquables. Le despotisme le plus abject, les plus rudes traitemens, l’exaspération qui les suit, et toutes les mauvaises passions qui en résultent, n’ont pu dépraver le caractère du peuple. Point de police, une discipline fort relâchée : une religion peu austère, qui est loin d’avoir exercé toute l’influence que la religion chrétienne a exercée ailleurs, et qui manque, non de prosélytes, mais de prédicateurs ; une législation qui n’est pas scrupuleuse sur la peine capitale. Eh bien ! chez ce peuple, à peine une seule condamnation à mort a-t-elle lieu dans une année : souvent les douze mois s’écoulent et se succèdent sans que le bourreau fasse son terrible office. Les neuf dixièmes des condamnés sont des malfaiteurs étrangers, la plupart du temps venus de l’autre rive du Danube. Les meurtres de famille, les assassinats, ne viennent qu’à de longs intervalles troubler ces habitudes paisibles et patriarcales. Dans ces provinces, on n’a pas même vu se déployer le cortége obligé de ces atrocités qui accompagnent les soulèvemens populaires. Plus d’impôt, ce mot d’ordre de toutes les insurrections, est venu récemment retentir pour la première fois aux oreilles du Valaque ; la foule de ses oppresseurs de tout genre l’environnait, et pas une goutte de sang n’a souillé ses mains. Tout au plus, au milieu du soulèvement général, peut-on accuser quelques hommes d’avoir participé au pillage commis par des brigands étrangers. L’exaltation révolutionnaire ne les a pas menés plus loin.

Ils sont doués d’une gaieté de tempérament que ni la misère, ni les vexations, ni les désastres ne peuvent abattre ou anéantir. Est-ce apathie ? est-ce insouciance ? C’est un caractère presque français, qui chasse le souci de l’avenir, étend un voile sur le passé, et se console en se livrant à cette heureuse disposition d’un esprit allègre et vif, qui rend sa société charmante et ses