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ritoriale qui, réalisée d’après ses vues en 1789, a plus que toute autre chose fait la France moderne : « Ce n’est, dit-il, qu’en effaçant les limites des provinces qu’on parviendra à détruire tous les priviléges locaux. Ainsi, il sera essentiel de faire une nouvelle division territoriale par espaces égaux partout. Il n’y a pas de moyen plus puissant et plus prompt de faire sans trouble de toutes les parties de la France un seul corps et de tous les peuples qui la divisent une seule nation[1]. » C’était là une idée de génie. La France lui doit sa forme, son égalité, la grandeur de ses ressources et la facilité de son action.

Qui appelait-il à accomplir cette révolution ? Le tiers-état. Comment ? Il faut ici l’écouter encore lui-même et constater ou sa prévoyance ou sa puissance : sa prévoyance, s’il aperçut l’avenir ; sa puissance, s’il l’amena. Il invita le tiers-état, qui, selon lui, n’était pas un ordre, mais la nation, à se constituer en assemblée nationale, c’est son expression, si le clergé et la noblesse ne voulaient pas se réunir à lui pour délibérer en commun et par tête[2].

« Le tiers-état seul, dira-t-on, ne peut pas former les états-généraux. Ah ! tant mieux ! ajouta-t-il ; il composera une assemblée nationale ! — Mais on s’écrie que si le tiers-état s’assemble séparément pour former, non les trois états dits généraux, mais l’assemblée nationale, il ne sera pas plus compétent à voter pour le clergé et la noblesse que ces deux ordres ne le sont à délibérer pour le peuple. D’abord les représentans du tiers-état auront incontestablement la procuration de vingt-cinq ou vingt-six millions d’individus qui composent la nation, à l’exception d’environ deux cent mille nobles ou prêtres. C’est bien assez pour qu’ils se décernent le titre d’assemblée nationale. Ils délibéreront donc, sans aucune difficulté, pour la nation entière[3]. » M. Sieyes allait même plus loin à cet égard que les autres ; car il prétendait que le vote par tête était aussi peu juste que le vote par ordre, les représentans des deux cent mille privilégiés n’ayant pas un droit égal aux représentans des vingt-six millions de citoyens. Il portait dans ses projets d’innovations la rigueur de ses théories. Du reste, il en

  1. Plan de délibérations, etc. ; Opinions politiques et vie de Sieyes, pag. 103, in-8o, Paris, chez Goujon, an viii.
  2. Qu’est-ce que le tiers-état ? chap. iii, § iii, et chap. vi.
  3. Ibid., chap. vi.