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REVUE. — CHRONIQUE.

due, et des conséquences incalculables de toute intervention armée dans les affaires intérieures de la Péninsule. » « La France garde le sang de ses enfans pour sa propre cause, et lorsqu’elle est réduite à la douloureuse nécessité de les appeler à le verser pour sa défense, ce n’est que sous notre glorieux drapeau que les soldats français marchent au combat. »

Que d’objections à faire ! Est-il vrai que l’entrée en Espagne de vingt mille Français eût eu des conséquences incalculables ? S’agissait-il de dépenser 100,000,000 et d’armer cent mille hommes, comme en 1823 ? Les officiers français qui reviennent de la Navarre s’accordent à dire que les partis n’attendaient que quelques régimens français pour désarmer sans honte. La France garde le sang de ses enfans pour sa propre cause ! est-ce là un dogme politique qui ne souffre pas d’exception, et vrai de toute éternité ? La France ne connaît-elle plus d’intérêts humains et généraux ? Refusera-t-elle désormais toute solidarité avec le reste du monde ? Puissent un jour les autres nations ne pas reprocher durement à notre pays cette politique étroite qui n’a ni prévoyance ni charité !

D’ailleurs, est-il vrai que la question espagnole ne touche en rien les intérêts de la France ? Les hommes politiques, les amis des libertés constitutionnelles qui voulaient tendre à l’Espagne une main amie, sont-ils autant de don Quichotte avides de courir des aventures au pays des chimères ? La question nous paraît parfaitement posée et résumée par ce mot d’un député : « L’intervention en Espagne est encore une question intérieure ; don Carlos est la moitié de Charles X. » Partout la même question se représente, tant à l’intérieur que dans nos relations étrangères. Saurons-nous, en face de l’Europe absolutiste, nous affirmer et nous établir comme un peuple libre et constitutionnel ? Recueillerons-nous les fruits des deux révolutions de 1789 et de 1830 ? Saurons-nous satisfaire les tendances de notre siècle par un compromis loyal entre quelques formes du passé et les justes exigences de nos jeunes générations ? À l’extérieur, serons-nous le centre et les tuteurs redoutés d’une Europe constitutionnelle ? Aurons-nous avec l’Angleterre une alliance sincère et féconde ? Relèverons-nous l’Espagne ? Fonderons-nous enfin notre puissance en Afrique ? Il semble que toutes les questions capitales se soient donné rendez-vous pour demander aux hommes politiques lumière et dévouement.

Jamais l’opposition constitutionnelle n’a eu de plus graves devoirs à remplir ; qu’elle sache résister au premier découragement qu’inspire toujours une catastrophe imprévue ; il faut vivre dans notre siècle au milieu des épreuves les plus amères et les plus soudaines. On a dit que le coup de pistolet avait ôté trente voix à l’opposition. Elle les retrouvera, ces voix, quand les premières impressions seront tout-à-fait dissipées.