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une partie de sa dotation. Il en jouit tant qu’il garde le portefeuille. Dès qu’il abdique, il la remet à ses successeurs. C’est une valeur indélébile, un majorat inaliénable ; aussi a-t-on nommé cette phalange le nombril vivant des forces ministérielles.

Une légère nuance distingue cette fraction de la chambre de celle que nous avons nommée le grand banc ministériel. C’est bien de part et d’autre la même confiance dans les votes, le même dévouement. Cependant il y a ici plus de sève, plus de vie, plus d’ardeur. Les premiers tâchent d’éluder le combat, ceux-ci l’acceptent. Les premiers voudraient pouvoir voter sans mot dire, conquérir le terrain sans bruit ; ceux-ci ne sont pas fâchés de discourir à haute voix et de faire sonner leurs grelots. Du reste, il y a dans cette section, comme dans la précédente, des hommes qui agissent par peur et cèdent par entraînement ; puis des fournisseurs, qui ne peuvent trahir le pouvoir, dont ils attendent chaque trimestre un mandat de paiement ; puis des fonctionnaires qui obéissent à de petites ambitions, qui occupent d’abord de petites places, qui font leur chemin tout doucement sans lâcher pied, qui demandent chaque année une nouvelle faveur, et obtiennent sous chaque ministère un nouveau grade, si bien qu’à la fin, se trouvant satisfaits et casés, ils restent ministériels par habitude ou par reconnaissance, après l’avoir été par intérêt.

Cette partie de la chambre est l’une des plus nombreuses. Elle ne compte pas moins de 82 membres, et elle représente diverses spécialités. Son général de bataille est M. Bugeaud ; son avocat, M. Martin du Nord ; son homme d’état, M. Jollivet ; son romancier, M. Kératry ; son poète, M. Viennet ; ses plans d’industrie sont chez M. Conté, et son hôtel de Rambouillet est chez M. Fulchiron, qui a tant de tragédies dans les cartons du Théâtre-Français.

De cette catégorie peureuse, routinière, nous aimons à passer à une autre section qui a toujours manifesté plus de force et d’intelligence. C’est celle des députés flottans. Là se trouvent encore des hommes que leur penchant entraîne vers le ministère ; mais ils ne votent pas toujours systématiquement. Ils discutent parfois, ils examinent. Les uns sont des hommes de détail et d’administration qui aiment à étudier les nouvelles lois que l’on propose, à scruter les comptes qu’on leur présente. Ceux-là n’applaudissent pas éternellement à toutes les mesures du ministère. Ils n’apportent pas dans chaque circonstance une conviction d’avance toute faite. Ils demandent à voir, à entendre, et il leur faut, pour les faire agir, certaines garanties. Il y a parmi ces députés des esprits éclairés, des noms fort honorables, et des hommes à qui il ne manque qu’un peu plus de hardiesse pour prendre, dans un des partis plus avancés de la chambre, une place distinguée.