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béralisme assez prononcée. À le voir alors lancer au milieu de son auditoire certaines paroles téméraires, on eût dit qu’il cherchait à compenser par ces petites audaces la réserve ministérielle qu’il gardait en d’autres occasions. Mais il pourrait se tenir plus à l’écart, ou se rapprocher davantage de l’opposition, sans qu’on fût en droit de l’accuser d’ingratitude ; car, s’il doit beaucoup à la doctrine, il ne lui doit pas tout. Il s’est fait une position politique par lui-même, par les journaux où il a écrit. C’est lui qui est le bel esprit de la famille doctrinaire, c’est lui qui représente dans son cours de la Sorbonne, dans le Journal des Débats, la littérature de la doctrine, littérature spirituelle, bien contée, mais peu osée, et peu profonde.

Les deux prosélytes les plus ardens de M. Guizot sont MM. Duvergier de Hauranne et Jaubert, hommes de bonne foi dans leur opinion, indépendans par leur fortune, mais toujours prêts à prendre feu, à s’élancer audacieusement au-devant de chaque discussion, et trahissant quelquefois leur parti par une attaque imprudente ou une chaleur intempestive. M. Duvergier de Hauranne est plus tenace dans ses idées, plus étroit dans ses points de vue. M. Jaubert mérite bien aussi quelque peu le même reproche, mais sa parole a plus d’ascendant et plus de prise sur la chambre. M. Jaubert parle souvent ; M. Duvergier de Hauranne ne prononce habituellement que deux grands discours, deux discours rêvés à la campagne, promenés en de longs loisirs sous les tilleuls, et auxquels cette promenade bucolique n’enlève rien de leur âpreté.

Il est à remarquer que ces douze doctrinaires n’ont point été ralliés successivement autour de M. Guizot par la conviction résultant d’un système politique mis en œuvre, par une expérience faite. Tous se sont trouvés ainsi réunis par des idées qui n’avaient encore reçu aucune application, par des liens de famille, ou des relations de salon. M. Guizot les connaissait et était lié avec eux tous en arrivant au ministère. Depuis qu’il a essayé de mettre en pratique ses théories, il n’a pas gagné un homme nouveau. Je me trompe, il en a gagné un : c’est M. Janvier. Plusieurs personnes accusent encore M. Janvier d’avoir trahi ses engagemens envers le parti légitimiste. Pour nous, nous croyons qu’il était depuis long-temps, peut-être sans se l’être jamais dit, doctrinaire par l’éducation, par la pensée, par la tendance habituelle de son esprit. Seulement, pour arriver à la doctrine, il a pris le chemin du bon La Fontaine, le chemin le plus long, le chemin des écoliers. Il a passé par la légitimité. Peut-être s’y est-il arrêté avec trop de complaisance ; peut-être a-t-il trop prolongé l’erreur de ceux qui le nommèrent député pour soutenir la cause de Charles X. Mais aujourd’hui nous le croyons sincère dans ses manifestations. M. Guizot l’a conquis, et il doit y tenir, car c’est là sa seule conquête.