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ADRIEN BRAUWER.

Ses tablettes passées dans sa ceinture ne le quittaient jamais, et on le voyait dans les rues de Harlem suivant les jeunes servantes qui revenaient de la fontaine, les soldats ivres, les commères en querelles, et crayonnant à grands traits les poses charmantes ou grotesques qui frappaient ses yeux.

Grâce à ces études acharnées, ses progrès furent immenses, et, au bout de deux années, ses tableaux commencèrent à être remarqués par les connaisseurs. Hals, qui avait prévu ce succès, et dont la bienveillance n’avait été qu’un calcul d’avarice, profita habilement de sa bonne fortune. Il exigea de l’enfant plus d’assiduité et vendit chèrement aux brocanteurs ses moindres esquisses. Mais comme les condisciples d’Adrien commençaient à s’apercevoir de sa supériorité, il craignit que quelque circonstance ne la lui révélât à lui-même, et pour éviter ce danger, il l’enferma seul dans un grenier écarté, en lui donnant une tâche pour chaque jour. Ainsi, pour la seconde fois, son talent devenait funeste à Brauwer, et lui ravissait son seul héritage, la liberté !

Malheureusement pour lui, ses tableaux plus connus furent plus recherchés, et les gains de Hals s’accrurent d’autant. L’or est pour les avares comme ces liqueurs dévorantes qui allument la soif au lieu de l’éteindre ; bientôt l’avidité du vieux peintre ne connut plus de bornes. Il eut recours à tous les supplices pour forcer Adrien à un travail continuel et rapide ; il retrancha sur sa nourriture, lui refusa un lit, des vêtemens, et le pauvre enfant en arriva à regretter sa captivité d’autrefois et les duretés de sa mère.

Cependant la disparition d’Adrien avait excité la curiosité des autres élèves de Hals ; on sut bientôt où il était renfermé. Van Ostade (le même qui s’illustra plus tard dans la peinture) jura qu’il réussirait à le voir. En effet, il profita de l’absence du maître pour arriver jusqu’au grenier de Brauwer, et appliqua son œil à une fente de la porte ; mais à peine eut-il regardé quelques instans qu’il jeta un cri d’admiration : il venait d’apercevoir le dernier tableau achevé par Brauwer. Après avoir échangé quelques mots avec le captif, il se hâta de redescendre à l’atelier pour raconter ce qu’il avait vu. Tous les écoliers voulurent s’assurer par leurs yeux de cette merveille, et vinrent successivement à la porte d’Adrien. La plupart se contentèrent d’admirer, mais quelques-uns, marchands de tableaux en herbe, qui étudiaient l’art, non dans le but de l’honorer, mais de l’exploiter, songèrent aussitôt à tirer parti de la circonstance. Ils proposèrent à Brauwer de leur peindre les cinq sens et les douze mois de l’année,