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ADRIEN BRAUWER.

Et courant à lui :

— D’où viens-tu, malheureux ? Sais-tu ce qui est arrivé en ton absence ?

— Non.

— Ta mère est morte.

L’enfant recula ; rien ne l’avait préparé à cette nouvelle, et il chancela, comme si un coup l’eût frappé. Les voisines s’empressèrent autour de lui avec cette compassion bavarde des femmes du peuple, et le firent entrer dans la maison.

La première impression d’Adrien n’avait été qu’une surprise attérante ; mais, à la vue du cadavre de sa mère, il jeta un cri de douleur. Tout ce qu’il y avait encore de bon dans ce cœur s’émut subitement, et l’enfant tomba à genoux, en pleurant, près du lit de la morte. Les femmes qui se trouvaient là en eurent pitié et l’arrachèrent à ce spectacle.

Il passa deux jours chez une voisine, qui n’épargna rien pour le consoler. Du reste, quelque vive et sincère qu’eût été sa première douleur, elle ne pouvait être de longue durée. Sa mère ne lui laissait aucun de ces souvenirs qui rendent une mémoire sacrée ; en la perdant, il ne perdait ni protection, ni soins, ni caresses. On ne le condamnerait plus à des travaux sans relâche pour satisfaire à un honneur qu’il ne comprenait pas ; la mort venait de lui donner quittance des dettes de son père ; se trouver orphelin, ce n’était donc pas pour lui être seul, mais être libre.

Cependant, quoiqu’il entrevît la mort de sa mère moins comme un malheur que comme une délivrance, il n’osait se livrer à la joie confuse qu’il en éprouvait. Une pudeur de l’ame l’avertissait que ce sentiment était impie et mêlait à son contentement intérieur je ne sais quelle honte et quelle tristesse.

Le souvenir de sa mère était d’ailleurs encore vivant et le dominait par la peur. Aussi, lorsqu’il revint dans sa demeure, dont la morte avait été emportée, éprouva-t-il un saisissement profond. Il chercha des yeux le métier à broder auquel Catherine avait coutume de travailler, comme s’il se fût attendu à la trouver là ; il prêta l’oreille pour s’assurer s’il n’entendait point sa voix, mais tout était vide et muet. Adrien regarda autour de lui avec angoisse : la terreur que lui avait inspirée sa mère pendant sa vie, semblait s’être attachée à cette maison, où tout lui rappelait une longue servitude. C’était la première fois qu’il y entrait sans entendre des cris, des injures, et ce silence lui faisait froid ; sa liberté lui causait une sorte d’épouvante. Il lui sem-