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PENSÉES D’AOÛT.

Wordsworth, il exprime avec une sincérité complète l’opinion à laquelle ses études ont dû le conduire. Pour être logique, il doit pareillement désapprouver Monsieur Jean ; et M. Sainte-Beuve, en essayant de ramener M. Villemain, a tenté une conversion impossible, car il n’y a évidemment rien de virgilien dans Monsieur Jean. Quant à ce qui concerne le mérite de la forme, la délimitation de la poésie et de la prose, l’intervalle qui sépare la réalité triviale de la réalité poétique, le journal du récit, la cour d’assises de la tragédie, M. Villemain, je crois, ne serait pas éloigné d’accepter comme vraie la théorie de M. Sainte-Beuve ; seulement j’incline à penser que le poète et le critique ne s’accorderaient pas sur l’étendue de l’intervalle. Mieux que personne, M. Villemain comprend la valeur des mots, et connaît le charme des choses bien dites ; mieux que personne, il sait ce que le tour d’une phrase, le choix d’une expression peut ajouter d’éclat ou de limpidité à la pensée ; mais il professe pour l’élégance du langage un culte si fervent, qu’il n’entend pas sans répugnance les choses appelées par leur nom ; ce qui lui paraît trivial ou cru n’est que simple pour des juges moins dédaigneux. C’est pourquoi, tout en admettant comme vrai ce que M. Sainte-Beuve dit de la rime, du rhythme, de la concision, de la condensation elliptique de la pensée, M. Villemain doit souvent trouver insuffisans les artifices qui contentent M. Sainte-Beuve. Il accorde le principe, mais il n’accorde pas les conséquences, ou plutôt il rétrécit le principe, et rétrécit nécessairement le cercle des applications. Un homme nourri toute sa vie dans le culte des lettres grecques et latines, et qui, dans l’Italie moderne, dans l’Angleterre, n’a goûté que les génies élégans qui se rapprochent de l’antiquité païenne, qui admire le Tasse au nom de Virgile, Pope au nom d’Horace, n’estimera jamais une haie, un buisson, à l’égal d’un chêne ou d’un platane ; il cherchera toujours Claude Gelée dans Ruysdaël ; et, par respect pour Raphaël, il niera toute l’école flamande. Pour ma part, bien que je professe un avis contraire, j’aime mieux cette franche négation qu’une admiration simulée ; car les esprits qui approuvent sur parole trouvent toujours moyen d’avoir tort en ayant raison. Ils fondent leurs éloges sur des motifs imaginaires, et ne peuvent rallier personne. Je suis sûr que M. Villemain est incapable d’approuver jamais Monsieur Jean, et je lui sais bon gré de l’avoir déclaré net. J’arrive au troisième point de l’épître, à la parenté qui unit la poésie familière et la poésie lyrique. Un musicien démontrerait cette parenté par les octaves du clavier, un peintre par les couleurs de sa palette, et ils insisteraient sur l’égale