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REVUE. — CHRONIQUE.
par Horace : Denique sit quod vis simplex duntaxat et unum[1], mais en sa place, comme dans certaines pièces par lesquelles Euripide avait essayé de renouveler la scène grecque, un intérêt collectif. Le poète faisait courir son lecteur sur une multitude d’aventures, réduites par un procédé nouveau, emprunté au théâtre, et qui avait produit assez récemment l’Ariane de Catulle, l’Io de Calvus, la Smyrna de Cinna, la Scylla attribuée ou à Gallus ou à Virgile, enfin, dans les Géorgiques, l’épisode d’Orphée et d’Eurydice, dans L’Énéide, celui de Didon, à quelques situations d’élite, d’un intérêt dramatique, d’une expression passionnée. Ces recueils, on peut leur donner ce nom, offraient l’extrait, le résumé de toute la littérature épique et tragique ; mais ils en annonçaient la fin, ils en étaient le testament, bien que ces genres décrépits ne pussent se résigner à mourir.
Un des plus obstinés à vivre, c’était le poème didactique, devenu, comme chez les Alexandrins, comme partout, un exercice habituel de versification, pour lequel tous les thèmes semblaient bons, l’astronomie, ou mieux l’astrologie, les sciences physiques et médicinales, l’histoire naturelle, la chasse, la pêche, que sais-je encore ? Ce poème, même chez Macer, même chez Gratius, chez Manilius, qui nous sont mieux connus, dont nous pouvons apprécier par nous-mêmes l’élégance ou l’énergie, déjà mêlées l’une et l’autre de quelque dureté, ne brillait que d’un éclat assez froid. Il ne devait plus retrouver l’intérêt présent et général qu’avaient su lui donner Virgile, Horace, Ovide, si habiles à choisir leurs sujets, lorsqu’ils avaient entrepris d’enseigner aux descendans du rustique Caton, maintenant hommes de lettres et hommes de plaisir, l’art de la culture, l’art des vers, l’art de la galanterie.
Rien de durable comme le lieu commun : mais le lieu commun épique surtout, semblait prétendre, chez les Romains, à l’éternité de l’empire. Le fleuve continua de couler, et à pleins bords, roulant dans ses flots monotones, emportant, vers les abîmes de l’oubli, des Perséides, des Herculéides, des Theséides, des Amazonides, des Thébaïdes, des Achilléides, des Phæacides, des Argonautiques, des Ante-Homériques, des Post-Homériques, des poèmes sur la première, sur la seconde Prise de Troie, sur l’Enlèvement, sur le Retour d’Hélène, sur Memnon, sur Antenor, cent autres, est-ce assez dire ? mille de cette sorte. Sur la rive, se retrouvèrent échouées, par un hasard qu’on n’ose dire heureux, ces productions banales dans lesquelles Stace, Silius Italicus, Valerius Flaccus, Claudien, avaient consumé, sans fruit, un talent qui pouvait être mieux employé. Lucain seul, dans ces derniers âges, interrompit, par quelques beautés nouvelles, la trop fidèle tradition d’une imitation stérile contre laquelle ne cessaient de réclamer les seules muses qui n’eussent pas vieilli à Rome, celles de l’épigramme et de la satire, dans des vers cependant qui, après tout ce qu’avaient dit de semblable Virgile, Horace, Properce, Tibulle, Ovide, pouvaient eux-mêmes passer pour un lieu commun.
« Quoi ! toujours écouter, et sans réplique, tant de fois opprimé par la Théséide de l’enroué Codrus ! C’est donc impunément qu’ils m’auront récité, l’un ses drames, l’autre ses vers élégiaques ! J’aurai, sans me venger, perdu tout un jour à entendre l’immense Télèphe, et cet Oreste, qui déjà remplit un volume, page et revers, déborde sur la marge, et n’est
  1. De Art. poet., 35.