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avec la fable ausonienne : ces deux mondes poétiques habilement conciliés, tous les souvenirs de la littérature homérique, toutes les traditions, toutes les antiquités du pays, trouveront place dans une œuvre de proportions vastes et régulières, capable de répondre, comme on l’a dit du génie de Cicéron, à la grandeur d’un empire qui comprend dans ses limites tous les peuples, qui enferme tous les dieux dans son panthéon. Voilà, selon moi, la conception de Virgile ; elle le sépare, non moins que les merveilles de l’exécution dont je ne parle pas, de la tourbe héroïque, ou prétendue telle, qui l’entoure.
Ce n’est pas la faute du chantre de l’Énéide, si les sentimens et le langage s’étant polis depuis Homère, il tombe quelquefois dans l’anachronisme, à peu près inévitable, d’une poésie plus moderne que les mœurs qu’elle exprime. Ce n’est pas sa faute si les choses de la vie ont perdu la nouveauté qui les rendait poétiques, si la religion tourne à la philosophie, si les croyances ne sont plus, chez les classes élevées, qu’une sorte de foi littéraire, assez semblable à cette convention de l’esprit par laquelle, nous autres modernes, nous nous faisons un instant païens pour lire et goûter l’antiquité. Sans doute les sources du merveilleux, et naturel et surnaturel, se tarissent ; mais Virgile sait encore y puiser de quoi animer cette production, dont les monumens sont bien rares, l’épopée permise aux siècles qui ne sont plus épiques, image savante et industrieuse de l’épopée naïve des premiers âges.
Si Virgile, à cet égard, peut être regardé comme le Tasse du siècle d’Auguste, Ovide, on l’a dit quelquefois, en est l’Arioste. La mythologie n’est pas prise plus au sérieux dans les Métamorphoses que la chevalerie dans le Roland Furieux. Toutes ces fables dont le poète forme le léger et ingénieux tissu de ses quinze livres, il veut seulement en égayer son imagination sceptique et la bénévole crédulité de ses lecteurs :
In non credendos corpora versa modos[1].
Le sérieux même du début et de la conclusion, l’un tout cosmogonique, l’autre tout historique, semble une protestation contre l’absurdité voulue des merveilles qui s’y encadrent ; l’aveu, bien reçu sans doute d’un temps fort indévot, que la religieuse épopée n’est plus qu’un badinage littéraire assez profane.
Ce caractère des Métamorphoses est aussi celui des Fastes, poème moins artistement composé, qui reproduit trop le décousu de ce qu’il traduit, le calendrier ; poème qu’une intention didactique rend parfois plus sévère. La légende y domine, la légende d’un temps de civilisation avancée, mensonge consacré, qu’imposent la religion et la politique, et auquel consentent, sans y croire, la vanité nationale qu’il flatte, et la poésie qui s’en inspire.
L’érudite Alexandrie avait donné l’exemple de ces poésies archéologiques, dont les Fastes ne furent pas le premier essai latin, qu’avaient tentées, avant Ovide, Properce et Aulus Sabinus[2]. L’esprit du moment les appelait. Rome, sur son déclin, n’attendant rien de l’avenir, aimait à s’entretenir du passé, à s’enchanter des souvenirs de son histoire, réelle ou fabuleuse.
La nouveauté de la forme achevait de distinguer les Métamorphoses et les Fastes, de ce qui se publiait alors. Ce n’était plus l’unité, recommandée
  1. Trist., ii, 64.
  2. Voyez Propert., El., iv, i, 69 ; Ovid., de Pont., iv, xvi, 18.