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Que pensa Ponticus de cette ironique élégie ? Il en fut probablement plus blessé que corrigé, et, avec sa Thébaïde, reprit ses grands airs épiques.
Je comprends qu’on me demande comment je rattache à ces poètes d’une inspiration personnelle et locale, chez lesquels je crois trouver l’expression originale de la pensée de leur temps, l’auteur des Églogues, des Géorgiques, de l’Enéide, qui, par le choix de genres et de sujets où il n’était guère intéressé, semble d’abord plus conforme aux habitudes d’imitation routinière de l’école des Ponticus. Je réponds qu’un des plus grands charmes de la poésie de Virgile, c’est précisément l’intervention lyrique et élégiaque du poète dans des ouvrages où elle n’était guère attendue, ces éclats soudains qui révèlent son ame simple et candide, ses affections tendres et mélancoliques. Je réponds encore que ces ouvrages ne sont pas si exclusivement littéraires qu’on s’imagine, et que Virgile y a fait une large part aux besoins intellectuels et moraux, aux goûts de ses contemporains. Quoi ! même dans les Églogues ? Et qu’importaient aux héritiers de la guerre civile, hommes de sang et de rapine, perdus de luxe, perdus de débauche, des tableaux pris de la vie des champs ? beaucoup assurément, beaucoup plus qu’ils n’eussent fait même au vieux Caton, bien qu’il cultivât la terre et qu’il écrivît sur l’agronomie, ou peut-être à cause de cela. Caton, comme les Curius, les Fabricius, les Cincinnatus, ses devanciers, c’était un sublime paysan, qui ne voyait dans la nature champêtre que les produits qu’il lui arrachait. Pour qu’elle devînt un objet d’intérêt poétique, il fallait, ce qui ne tarda pas d’arriver, que les raffinemens de la civilisation eussent par degrés éloigné d’elle, qu’on la regrettât, qu’on la redemandât, qu’on en recherchât l’apparence ou l’image. Il y avait long-temps qu’il en était ainsi chez les grands et les riches de Rome quand Horace leur disait : « Vous chassez la nature, mais elle revient malgré vous ; elle triomphe à votre insu de vos injustes dédains. N’élevez-vous pas des forêts parmi vos colonnades ? Ne voulez-vous pas des maisons d’où votre œil puisse s’égarer au loin dans de vastes campagnes ? »

Nempe inter varias nutritur sylva columnas,
Laudaturque domus longos quæ prospicit agros.
Naturam expellas furca, tamen usque recurret,
Et mala perrumpet furtim fastidia victrix
[1].

On comprend qu’une telle société ait accueilli avec faveur cet homme qui lui venait du bourg d’Andès avec ses manières villageoises, ses vers si élégamment, si harmonieusement rustiques. Ainsi avait été accueilli à la cour non moins somptueuse, non moins corrompue, non moins ennuyée des Ptolémées, le modèle de Virgile, Théocrite. Tous deux furent les introducteurs de la poésie pastorale à sa véritable époque, lorsque ses rudes et grossières chansons quittant les Arcadies, où elles prennent naissance et charment, pendant des siècles, les obscurs loisirs des bergers, se traduisent en langage plus poli pour l’amusement des villes, blasées par l’abus de toutes les recherches, ramenées à force d’ennui au goût de la simplicité primitive ; lorsque la description de la nature sensible, ressource de la poésie qui s’épuise, remplace dans ses tableaux la figure de l’homme, auparavant son principal et presque son seul objet, que l’acteur s’efface et disparaît pour ne laisser voir que le théâtre.
Ajoutons qu’un intérêt de circonstance s’attachait à ces poèmes où Vir-
  1. Epist., i, x, 22 sq.