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REVUE. — CHRONIQUE.

ment, tel qu’il est constitué, suffit à la tâche, et pour apprécier les services qu’il peut rendre à la cause du progrès, de la justice et de l’égalité, il n’y a qu’à voir ceux qu’il lui a déjà rendus. Ce serait une belle histoire à faire que celle des immenses améliorations introduites en quelques années dans toutes les institutions de l’Angleterre. Administration, finances, législation du paupérisme, régime industriel, liberté commerciale, liberté municipale, liberté religieuse, tout s’est ressenti de l’impulsion donnée par la réforme parlementaire, fille elle-même de la révolution de juillet. Les whigs peuvent justement s’en enorgueillir, car ils ont bien mérité de leur patrie et de l’humanité. Cette vieille société anglaise, dont les plaies sont ainsi une à une soudées et montrées au grand jour, était cependant bien puissante. Avec tous ces vices au fond du cœur, ces inégalités, ces priviléges absurdes, ces règlemens vexatoires ou barbares, elle a soutenu, contre la révolution française et l’empire, une lutte gigantesque d’un quart de siècle, et elle a eu le dernier mot, tant il est vrai que, dans un état vigoureusement organisé, la puissance extérieure n’a rien de commun avec la bonté des institutions, quant au bonheur et à la liberté des individus.

L’Angleterre pourrait bien être appelée au premier jour à faire un essai de ses forces contre une colonie de plus en plus rebelle à ses lois. L’agitation menaçante qui se propage dans le Bas-Canada, prend le caractère le plus grave ; et ce qui prouve que le ministère anglais en voit les progrès avec inquiétude, c’est qu’il adopte des mesures militaires et songe à nommer gouverneur le lieutenant-général sir John Colborne, c’est-à-dire apparemment à concentrer tous les pouvoirs entre les mains du commandant des troupes. Il y a eu récemment à Montréal une rixe sérieuse entre le parti canadien et le parti anglais, qui a révélé l’existence d’une association contre le gouvernement, pour servir les projets des séparatistes ; car aujourd’hui on ne saurait douter qu’il n’y ait dans la population canadienne un mouvement d’opinion qui la pousse à l’indépendance, puisqu’elle réclame des droits qui annuleraient de fait l’autorité de la métropole. Les Canadiens se plaignent de l’inégale répartition des emplois, qui constitue en faveur des Anglais une espèce de monopole ; ils se plaignent de l’opposition constante du conseil législatif, dont les membres sont nommés par la couronne, à tous les vœux de la chambre d’assemblée, qui émane de l’élection ; ils se plaignent encore de la partialité du conseil exécutif, composé de trente-cinq membres, aussi à la nomination de la couronne, et de l’organisation vicieuse du pouvoir judiciaire. Si l’on avait des informations plus complètes sur l’ensemble de la question, il est probable qu’à côté des griefs politiques on en trouverait qui se rattachent à la législation des rapports commerciaux. Mais aucune puissance n’a d’agens consulaires dans les colonies anglaises ; et, malgré la liberté de la presse, on ne connaît qu’imparfaitement les détails de la querelle entre le Canada et le gouvernement britannique. La situation actuelle, sans parler des désordres matériels et de l’agitation qui se manifeste partout, est une situation violente et extra-légale, en ce que l’assemblée législative refuse les subsides depuis plusieurs années, n’est plus réunie que pour la forme, et oblige chaque fois le gouverneur, par sa turbulence et la vivacité de son langage, à la renvoyer au bout de quelques séances. En attendant la fin d’un pareil état de choses, les officiers de la couronne ne sont pas payés, et toutes les affaires dans lesquelles il faut que l’assemblée législative intervienne,