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LES CÉSARS.

hommes dont la flatterie avait dégoûté Tibère, qui avaient dressé, en l’honneur de Séjan, un autel à la Clémence ; c’étaient eux que Caligula avait vus courir en toge pendant plusieurs milles au-devant de son char, qui l’avaient servi à table, la robe relevée, le linge autour du corps. Les grandes fortunes avaient disparu pendant les proscriptions ; les grands noms étaient éteints, les hommes alors les plus nobles du sénat portaient des noms à peine romains. Ils ne purent échapper au sentiment de leur propre impuissance : cent sénateurs seulement étaient venus, sur la convocation des consuls, délibérer dans le temple de Jupiter ; le reste étaient chez eux, d’autres à la campagne. Le sang-froid de la nuit avait amorti leur enthousiasme.

Le peuple, au contraire, qui s’était reconnu, entourait le sénat, demandait un chef unique, demandait Claude. L’aristocratie, avec ses oscillations, n’était plus, pour un si grand empire, un régime convenable ; il lui fallait la simplicité du système monarchique. Tout ce qui était tant soit peu soldat allait à Claude : les gladiateurs, les mariniers du Tibre, arrivaient à son camp ; les soldats même du sénat vinrent heurter aux portes du temple de Jupiter, protestant contre la liberté, demandant un empereur, laissant néanmoins au sénat le soin de le choisir, parti embarrassant auquel le sénat commençait à se résigner. On nommait des candidats ; Minucianus, l’un des conjurés et beau-frère de Caïus, n’hésita pas à s’offrir. Les consuls jaloux traînaient la discussion en longueur ; le sénat était refroidi, ennuyé, divisé, effrayé aussi, car choisir un empereur, c’était plus que jamais déclarer la guerre.

Chœrea, cependant, haranguait ses soldats, vieux croyans à la république, ne leur pardonnant pas l’outrage qu’ils venaient de faire, disait-il, à la dignité du sénat. Les soldats répondirent : « Un empereur ! » Excepté ceux qui devaient régner sous la liberté, nul ne voulait être libre. — « Mais ce Claude est un imbécile ; autant aimerais-je Cythicus, le cocher du cirque. Vous venez d’avoir un prince fou, vous en prenez un stupide. » — « Nous avons un empereur, et un empereur sans reproche ; irons-nous donc nous entretuer, gens du même pays et du même sang ? » Ainsi parla un soldat ; il tira son épée, les autres suivirent, et, les enseignes hautes, l’armée du sénat alla se joindre à celle de Claude.

Ce furent alors les sénateurs eux-mêmes qui désertèrent le parti du sénat, et vinrent l’un après l’autre à ce terrible camp du prétoire. Les soldats les y reçurent mal, et Claude eut grand’peine à empêcher qu’on ne les massacrât. Les prétoriens avaient fait un