Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/761

Cette page a été validée par deux contributeurs.
757
LES CÉSARS.

dit Caïus, vous avez sacrifié, je ne sais à quel autre dieu, mais pas à moi. Je ne m’en suis pas senti plus honoré. »

Chacune de ces paroles glaçait le sang des pauvres députés. Mais il les laisse là, passe dans une autre salle, visite, inspecte, ordonne, cause avec l’intendant du palais, fait changer de place les beaux tableaux et les belles statues. La double députation suivait toujours, les Alexandrins triomphant, se moquant des Juifs, les raillant comme sur le théâtre, les autres tête basse, n’attendant guère que la mort.

Tout à coup il se retourne, prend un air grave : « Pourquoi donc ne mangez-vous pas de cochon ? » Les Alexandrins éclatèrent de rire. « Seigneur, chaque peuple a ses lois. Certaines choses nous sont défendues, d’autres aux Égyptiens ; il y en a même qui ne mangent pas d’agneau. » — « Ils ont raison ; la chair en est mauvaise. » Puis, après avoir ri de sa facétie : « Mais enfin, sur quoi fondez-vous votre droit de cité à Alexandrie ? » C’était là le grand point de la querelle. Les Juifs commencèrent à plaider leur cause. Caïus craignit que leurs raisons ne fussent trop bonnes ; il leur tourna le dos, passa en courant dans une autre salle, fit fermer les fenêtres, revint à eux : « Qu’avez-vous à me dire ? » Son ton était plus doux : les Juifs recommencèrent avec quelque espérance ; mais au lieu de les entendre, le voilà encore à courir, visitant des tableaux, ne voulant rien écouter. Pour le coup, les malheureux circoncis faisaient tout bas leur prière et se préparaient à la mort. « Allez-vous-en, leur dit enfin Caïus. Après tout, ces gens-là sont plus fous que méchans de ne pas savoir que je suis dieu. »

La colère de Caïus ne laissait plus de ressource aux juifs contre la persécution des Alexandrins. « Mais, leur dit Philon, nous devons maintenant espérer plus que jamais ; l’empereur est si irrité contre nous, que Dieu ne peut manquer de nous secourir. » Belle parole que Dieu prit soin de justifier.

Caïus avait su blesser tout ce qui l’entourait ; sa défiance et les craintes qu’il avait pour sa vie, les discordes qu’il aimait à semer parmi ceux qui l’approchaient, les railleries qu’il exerçait sur eux, les épouvantables commissions qu’il leur donnait, lui faisaient des ennemis parmi ses affranchis même, la puissance du temps.

Casius Chœrea, tribun de la cohorte prétorienne, homme âgé, aux formes un peu molles, mais au fond vieux Romain et brave soldat, était le plastron des gaietés de Caïus. S’il demandait le mot d’ordre, César lui en donnait un ridicule ou obscène qui faisait railler Chœrea