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LES CÉSARS.

fice de ses proscriptions ; il fit passer en jeux et en largesses pour la populace romaine, en libéralités pour ses prétoriens, les patrimoines des condamnés, c’est-à-dire des hommes les plus riches. Cette politique si facile et si simple ne passait pas l’esprit de Caïus ; il s’assurait, aux dépens des vaincus, la bonne volonté des puissans.

Mais ce penchant pour le peuple n’empêchait pas l’homme de prédominer toujours, le Romain, l’homme de sang de se faire partout et en tout temps sentir. Il n’y eut personne, dit Suétone, d’une condition si basse auquel il ne voulût du mal. Le théâtre était le lieu de ses querelles avec le peuple ; souvent, par plaisanterie, dans les grandes chaleurs, il faisait retirer le velarium qui servait à protéger les spectateurs contre l’ardeur du soleil, et ne laissait plus sortir personne ; un autre jour, ennuyé du bruit de la foule, qui venait dès la nuit prendre sa place au cirque, il la fit chasser à coups de bâton ; un grand nombre d’hommes périrent.

Il avait une douleur, c’est que son époque ne fut marquée par aucune calamité publique. Sous Auguste, la défaite de Varus ; sous Tibère, la ruine du théâtre Fidènes, avaient au moins illustré leurs règnes. En vain faisait-il quelquefois fermer les greniers de Rome pour mettre à la famine le petit peuple, qui ne vivait que de distributions publiques ; qu’étaient-ce que ces calamités factices ? Son temps était trop heureux ; il serait oublié. Oh ! l’incendie, la peste, la famine, le tremblement de terre, la destruction des armées, où sont-ils donc ?

Mais console-toi, pauvre peuple ; si tu souffres un peu des bizarreries de ton maître, vois les spectacles qu’il te donne : ce ne sont que gladiateurs, combats de bêtes, drames, pantomimes ; le cirque est rempli le matin, il n’est pas encore vide le soir. C’est d’abord la chasse aux bêtes féroces, ce sont ensuite les combats de Troie, c’est la course de chevaux où nul n’est admis à servir de cocher, s’il n’est sénateur ; la poussière du cirque est parsemée de minium et de pierres brillantes. Vive le dieu Caïus, le patron des farceurs, le protecteur des bouffons ! l’ami, le commensal, le convive des cochers de la faction verte, avec qui il soupe dans l’écurie ! Croyez-vous qu’il ne sache pas récompenser les talens ? Apelle le tragédien est son conseiller intime, Cythicus le cocher du cirque, pendant une orgie, a reçu de lui deux millions de sesterces (387,500 fr.) sur sa cassette. Voyez Incitatus, à qui les libéralités de César ont fait une fortune, qui a des manteaux de pourpre, un collier de pierres précieuses, une maison, des esclaves, un mobilier ; qui invite à souper et traite magnifiquement