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mourir ; dans ses orgies, se donnant la torture en spectacle ; caressant le cou de sa maîtresse, et ajoutant : « Cette belle tête pourtant, je n’ai qu’à dire un mot, et elle tombera. » Qu’est-ce que cela ? si ce n’est l’amour et le besoin du sang ?

Aussi était-il merveilleusement ingénieux pour trouver des criminels. Nous parlions tout à l’heure du deuil de Drusille. L’anniversaire de la bataille d’Actium lui fournit un pareil dilemme : par sa mère, il descendait d’Auguste, par sa grand’mère d’Antoine ; il était petit-fils du vaincu et du vainqueur. « Que les consuls fassent la fête, disait-il le matin à ses amis, ou qu’ils ne la fassent pas, ils seront toujours coupables. » Les consuls firent la fête ; ils furent déposés le jour même, les verges de leurs licteurs rompues sous leurs yeux. L’un d’eux se tua de chagrin.

Il se souvint aussi de ceux qui, pendant sa maladie, avaient voué leur vie pour la sienne ; il les prit au mot, fit combattre l’un contre des gladiateurs et eut grand’peine à lui faire grace après sa victoire ; fit promener l’autre comme une victime avec les banderolles et la verveine, et le fit jeter dans un précipice. Sa cruauté était facétieuse ; tous les dix jours, il marquait sur la liste des prisonniers ceux qu’il voulait faire périr (la procédure était simplifiée, on le voit, il ne fallait plus tant de formalités pour tuer un homme) ; il appelait cela apurer ses comptes.

Plus d’une fois il fit assister les pères à la mort de leurs fils ; à ceux qui étaient malades il envoyait poliment une litière. Un autre, invité par l’empereur à venir ce soir-là souper à sa table, n’osa refuser, parce qu’il lui restait un fils. Caïus le chargea de parfums et de couronnes, lui envoya sa coupe pleine de vin, l’accabla de toutes ces marques de joie si déchirantes pour sa douleur, et ne lui permit pas même, en récompense de sa résignation, de recueillir les os de son enfant.

Laissons la fatigante énumération de ces actes de cruauté. Il serait sans doute absurde de chercher quelque raison politique dans la conduite de ce fou, mais la force des choses le poussait comme elle pousse tant d’autres ; il sentait l’état de la société sans le comprendre. Depuis César il n’y avait eu véritablement que deux puissances dans l’empire, le peuple et les soldats : Auguste avait voulu relever le sénat, Tibère l’abattit ; en même temps les légions, sévèrement gardées loin de Rome, s’annulèrent ; tout le pouvoir de l’armée fut dans les prétoriens. À ces deux puissances, les prétoriens et le bas peuple, Caligula trouva facile d’immoler les restes de cette puissance éteinte, le sénat. Ce que Tibère n’avait pas fait, il appela le peuple au béné-