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préservé que par des prodiges. À Milet, Caïus enleva un temple à Apollon. On jurait en son nom ; on mettait ses statues avec celles des dieux ; toutes les nations et toutes les villes se faisaient les complices de sa folie.

Quant à lui, il gardait la grandeur de sa divinité : aujourd’hui c’est Apollon, il porte une couronne de rayons sur sa tête et mène les Graces à sa droite ; demain il aura les ailes aux pieds et le caducée de Mercure ; il prendra une grande barbe pour figurer le dieu Mars. Un jour il fut Vénus, pourquoi ne serait-il pas Jupiter ? Il est comme lui l’amant de sa propre sœur. Est-ce la foudre qui lui manque ? il aura des machines d’opéra pour imiter le bruit du tonnerre, il fera des éclairs avec du soufre ; si le vrai tonnerre vient à tomber, il jette une pierre au ciel en lui criant, au ciel qui ne s’en soucie mais : « Tue-moi ou je te tue. »

Cherchez-vous le prince ? voyez-le suivi d’une Théorie qui chante les louanges de Caïus Hercule, ou de Caïus Jupiter. — Non, il est chez lui, demandez-le à ses portiers ; ses portiers sont Castor et Pollux, dont le temple, depuis qu’il a augmenté son palais, lui sert aujourd’hui d’antichambre. — Mais il est dans une plus intime retraite : la lune est dans son plein, elle brille de tout son éclat ; Caligula est là qui l’appelle amoureusement à venir partager sa couche. Au Capitole, il s’est fait faire une chapelle auprès du temple de Jupiter : allez là prêter l’oreille, vous ouïrez la conversation de Jupiter Latialis et de Jupiter Capitolin ; le Capitolin est un peu muet, mais en revanche l’autre parle, chuchotte, interroge, écoute les réponses, se fâche, élève la voix. « Je te renverrai, lui dit-il, au pays des Grecs ; » puis il se laisse toucher, ne menace plus, consent à vivre d’accord avec son confrère, et, pour se rapprocher de lui, joint le Capitole au mont Palatin par un pont qui passe au-dessus du temple d’Auguste.

Lorsqu’il lui naquit une fille, petite enfant dans laquelle il se reconnaissait à sa férocité précoce, il la promena d’abord chez tous les dieux, puis enfin il la porta chez Minerve, la lui mit sur les genoux, et fit la déesse sa gouvernante. À la mort de sa sœur Drusille, il fit déesse cette femme infâme, il ordonna qu’on ne jurerait qu’en son nom ; cela ne lui suffit pas, il voulut encore qu’elle fut montée au ciel, et il trouva un sénateur pour jurer par tous les sermens possibles, par sa vie et par celle de ses enfans, qu’il l’avait vue en chemin pour l’Olympe.

Dans sa douleur, il partit de Rome à la hâte, courut toute l’Italie, alla donner des jeux en Sicile ; mais la fumée de l’Etna lui fit si