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POÈTES ET ROMANCIERS DU NORD.

Frithiof les sauve. Un autre jour, Ring s’en va à la chasse dans une forêt profonde, et lorsque ses compagnons sont loin, il dit à Frithiof : « Je suis las, asseyons-nous au pied de cet arbre ; je veux dormir quelques instans. » Frithiof étend son manteau par terre, et le vieux roi s’endort sur les genoux du héros. Pendant cette heure de sommeil, un oiseau noir perché sur une branche dit à Frithiof : « Qu’attends-tu ? l’époux d’Ingeborg est en ton pouvoir ; personne ne te voit. Il t’a ravi ta bien-aimée, ton espoir, ton bonheur. Ne peux-tu reconquérir ce qui t’appartient ? » Mais un autre oiseau lui crie : « Souviens-toi de ton honneur. Cet homme t’a reçu comme un frère. Il a confiance en toi. Ne souille pas ton nom par une lâcheté. » Frithiof, en proie à ces deux pensées qui flottent dans son esprit, tire son épée et la jette loin de lui. L’oiseau noir s’enfuit en poussant un cri sinistre ; l’oiseau blanc prend son essor vers le ciel. Ring se lève, « Je n’ai pas dormi, dit-il ; j’ai vu tout ce qui se passait en toi. Je t’ai reconnu, Frithiof, le jour même où tu entras dans ma demeure, et j’ai voulu voir jusqu’où allait ta noblesse de caractère, ton courage de héros. Dès ce moment je t’adopte pour mon fils : tu règneras après moi. »

Quelque temps se passe. Ring, se sentant près de mourir, appelle Frithiof, et lui lègue Ingeborg et son royaume. Mais le vieux roi laisse un fils en bas âge ; Frithiof ne veut pas lui ravir ses droits. Il le fait reconnaître pour souverain, et n’accepte que le titre de régent. Il retourne dans son pays. Un de ses ennemis est mort ; il se réconcilie avec l’autre. Il reparaît avec l’expression du repentir dans le temple de Balder, qui a été rebâti. Il obtient son pardon des vieillards, son pardon des prêtres, et épouse Ingeborg. Ainsi se termine ce poème remarquable, dont une analyse ne peut donner qu’une bien faible idée, et qu’il faudrait lire dans l’original pour en comprendre la saveur et le charme exquis[1].

La biographie de Tegner n’est pas longue à faire. Sa vie n’est pas féconde en évènemens. C’est une de ces heureuses vies qui se sont écoulées entre l’étude et la poésie, dans l’exercice d’un devoir et le laisser-aller d’un rêve. Elles ressemblent à ces rivières soumises à la main de l’homme, qui tantôt sont retenues par une écluse et tantôt courent en toute liberté à travers champs. Sans doute il y a eu là des coups de vent, des orages. Plus d’une fois ces vagues ont été noir-

  1. La Frithiofs saga a été traduite trois fois en allemand. Elle a été traduite en anglais avec beaucoup de talent par mistress Garnet. Un de nos amis doit en publier prochainement une traduction française.