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a droit de se complaire ! À la nouvelle de l’élargissement de l’abbé de Saint-Cyran, qui était depuis plusieurs années prisonnier à Vincennes, la mère Agnès, qui l’apprit au parloir, et qui voulait en informer les religieuses sans pourtant faire infraction à la loi du silence, entra au réfectoire, et, prenant sa ceinture, la délia devant la communauté, pour donner à entendre que Dieu rompait les liens de son serviteur ; et toutes à l’instant comprirent, tant elles n’avaient qu’une seule pensée ! — Lors de la signature de la paix de l’église en 1669, quand Port-Royal rentre dans ses droits, quand le grand-vicaire de Paris se présente à la grille pour lever l’interdit, qu’au milieu des cierges allumés les chantres entonnent le Te Deum, et que les cloches sonnent à volées, on partage presque l’impression de ces pauvres gens du voisinage, qui accoururent de toutes parts, est-il dit, étonnés et ravis d’entendre de nouveau ces cloches de bénédiction qui n’avaient point sonné depuis trois ans et demi. — Au moment où le curé de Magny, l’ami et le consolateur de Port-Royal durant ces années de disgrace, s’avançait en procession avec son clergé pour louer Dieu de la délivrance, et entrait dans l’église où M. Arnauld de retour célébrait la messe pour la première fois, le premier verset qu’on entendit au seuil et que cette procession chantait sans en calculer l’intention : Omnes qui de uno pane et de uno calice participamus, nous tous qui participons au même pain et au même calice, etc., etc., ce verset parut sur l’heure à tous d’une signification divine, et nous paraîtra à nous-même d’une application touchante. — Durant les années les plus étroites de la persécution, Port-Royal avait eu ses incidens hardis et comme ses aventures de sainteté. M. de Sainte-Marthe, confesseur de cette maison, sautait la nuit par-dessus les murs pour aller porter la communion aux religieuses malades, et cela de l’avis de l’évêque d’Aleth ; en sorte, nous dit Racine, qu’il n’en est pas morte une sans les sacremens. Ce même M. de Sainte-Marthe, le plus doux et le moins audacieux des hommes, partait souvent le soir de Paris, ou de la maison qu’il habitait près de Gif, et arrivait le long des murailles du monastère à quelque endroit convenu d’avance et assez éloigné des gardes. Là, il montait sur un arbre assez près du mur, au pied duquel, en dedans, étaient venues les religieuses du côté des jardins, et, du haut de cet arbre, il leur faisait de petits discours pour les consoler et les fortifier. C’était pendant l’hiver. On ne se séparait qu’après avoir fixé l’heure du prochain rendez-vous pareil. Voilà presque du scabreux ce me semble, voilà les balcons nocturnes de Port-Royal. — Dans la vie des personnages d’alentour, de ces nobles dames qui se