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gagnent quelque chose d’opiniâtre, les plus doux ont leur coin d’endurcissement.

Port-Royal avait raison, je le crois, en commençant la dispute ; mais il est des sentiers que le choc seul gâte et ravage, qu’il faut se hâter d’abandonner dès que la dispute nous y suit ; car cela devient au bout de dix pas un sentier inextricable de ronces. Port-Royal eut le tort (comme quelques-uns des siens le sentirent) de ne pas se retirer, se taire, s’abîmer pour le moment, afin de reprendre ensuite par quelque autre chemin où la paix se retrouverait.

L’ascétisme dont Port-Royal, chez Lancelot, chez M. Hamon, chez M. de Tillemont, plus tard, au xviiie siècle, chez M. Collard, nous offrira de si humbles, de si savans, de si accomplis modèles, y eut aussi des excès. Bien qu’en général on y semblât garder une sorte de juste milieu entre les rigueurs de la Trappe et le relâchement des autres ordres, quelques-uns des solitaires, sur quelques points, ont passé outre. M. Le Maître s’est détruit par ses austérités ; M. de Pontchateau s’est tué, malgré ses directeurs, à force de trop jeûner.

vii. — Puisque nous y sommes et que notre regard est en train de courir, il faut épuiser les points de vue. Poétiquement donc, si l’on ose ainsi dire, et pour l’intérêt d’émotion qui s’éveille dans les cœurs, notre sujet enfin n’est point ingrat. Ce Port-Royal, tant aimé des siens, qu’on voit renaître, grandir, lutter, être veuf long-temps ou de ses solitaires ou même de ses sœurs, puis les retrouver pour les reperdre encore et pour être bientôt perdu lui-même et aboli jusque dans ses pierres et ses ruines, ce Port-Royal, en sa destinée, forme un drame entier, un drame sévère et touchant, où l’unité antique s’observe, où le chœur avec son gémissement fidèle ne manque pas. La noble et pure figure de Racine s’y présente, s’y promène, depuis ce désert, cet étang et cette prairie qu’il célébrait, mélodieusement déjà, dans son enfance, jusqu’à ce sanctuaire où son âge mûr se passe à prier, à versifier pieusement quelques hymnes du Bréviaire[1], à méditer Esther et Athalie. Esther et les chants de ces jeunes filles proscrites, exilées du doux pays de leurs aïeux, ces aimables chants qui, chantés devant Mme de Maintenon, lui rappelaient peut-être, a-t-on dit, ces jeunes filles protestantes qu’elle n’osait ouvertement défendre ni plaindre, nous paraîtront plus à coup sûr dans l’ame de Racine la voix, à peine dissimulée, des vierges de Port-Royal, qu’on disperse et qu’on opprime. L’art, le talent, à

  1. S’il avait d’abord traduit ces hymnes du Bréviaire dans sa première jeunesse, il a dû les retraduire telles qu’on les a aujourd’hui, ou du moins les retoucher dans son âge mûr.