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PORT-ROYAL.

cratie, ou du moins de la petite noblesse, qui se montrait contraire en cela à la royauté de saint Louis et à la foi populaire. On peut dire qu’au xviie siècle, la tentative de Saint-Cyran et des Arnauld fut un second acte, une reprise à un étage moindre, mais aussi suivie et prononcée, d’organisation religieuse pour la classe moyenne élevée, la classe parlementaire, celle qui, sous la Ligue, était plus ou moins du parti des politiques. Port-Royal fut l’entreprise religieuse de l’aristocratie de la classe moyenne en France. Il aurait voulu édifier, resserrer et régulariser ce qui était à l’état de bon sens religieux et de simple pratique dans cette classe. Louis XIV ni Richelieu, on le conçoit, n’en voulurent rien ; et cette classe même, bien qu’en gros assez disposée, ne s’y serait jamais prêtée jusqu’au bout, trop mondaine déjà à sa manière et trop dans le siècle pour le ton chrétien sur lequel le prenait Saint-Cyran. Le jansénisme parlementaire du xviiie siècle n’est plus Port-Royal et n’y tient que par l’hostilité contre les jésuites. La première entreprise était dès-lors depuis long-temps et à jamais manquée. À la fin du xviiie siècle, quand on entama révolutionnairement la réforme civile du clergé, quelques jansénistes essayèrent de se présenter ; mais leur mesure n’était plus possible ; la constitution civile du clergé ne la représente qu’infidèlement, et ne peut passer elle-même que pour un accident de l’attaque commençante : tout fut vite emporté au-delà par le débordement des grandes eaux.

iii. — Nous venons de dire en somme ce qu’a été la vraie tendance politique de Port-Royal. Car pour l’autre prétention politique qui lui a tant été reprochée de son vivant, pour cette ambition positive et tracassière qui aurait consisté à s’entendre avec les frondeurs, avec les adversaires du pouvoir et de la royauté d’alors, ç’a été, durant tout ce temps-là, une calomnie pure aux mains des ennemis. Depuis, ç’a été chez plusieurs une erreur accréditée. Petitot, dans un remarquable et savant travail sur Port-Royal (en tête des Mémoires d’Arnauld d’Andilly), a repris, il y a peu d’années, cette thèse, pour la démontrer en détail ; et, à l’intention secrète, à la vivacité amère qu’il y a mise, on peut oser affirmer qu’il en a refait une calomnie. Rien n’est dangereux et cruel comme les transfuges ; et, de cet auteur, d’ailleurs estimable, mais sorti du jansénisme et si acharné contre lui, on aurait presque droit de dire par vengeance, de répéter avec Racine, avec le grand poète de Port-Royal, parlant du transfuge sacrilége de Sion :

Ce cloître l’importune, et son impiété
Voudrait anéantir le Dieu qu’il a quitté.