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LA DERNIÈRE ALDINI.

la jeunesse et la beauté sont partout des idoles qui nous font plier le genou ; et quant au préjugé, c’est déjà beaucoup pour une femme élevée sous des lois tyranniques, d’avoir en secret un pauvre regard et un pauvre battement de cœur pour un homme que ses préjugés mêmes lui défendent de considérer comme un être de son espèce. Ce pauvre regard, ce pauvre palpito, ce serait bien peu pour le vaste désir d’une grande passion ; — mais je te l’ai dit, cousine, je n’en suis pas là.

— Et qui te dit que tu n’y viendras pas ?

— Alors il sera temps de me prêcher.

— Il sera trop tard, tu souffriras !

— Ah ! Cassandra ! laisse-moi vivre !

Le lendemain à sept heures du matin, j’errais lentement dans l’ombre des piliers de Santa-Maria. Ce rendez-vous était bien la plus grande imprudence que pût commettre ma jeune signora, car ma figure était aussi connue de la plupart des habitans de Florence que la grande route aux pieds de leurs chevaux. Je pris donc les plus minutieuses précautions pour entrer dans la ville à la lueur incertaine de l’aube, et je me tins caché sous les chapelles, la figure plongée dans mon manteau, me glissant en silence et n’éveillant, par le moindre frôlement, les fidèles en prières parmi lesquels je cherchais à découvrir la dame de mes pensées. Je n’attendis pas long-temps ; la belle Lila m’apparut au détour d’un pilier ; elle me montra du regard un confessionnal vide dont la niche mystérieuse pouvait abriter deux personnes. Il y avait, dans le beau regard prompt et intelligent de cette jeune fille, quelque chose de triste qui m’alla au cœur ; je m’agenouillai dans le confessional, et, peu d’instans après, une ombre noire glissa près de moi et vint s’agenouiller à mes côtés. Lila se courba sur une chaise entre nous et les regards du public, qui, heureusement, était absorbé en cet instant par le commencement de la messe, et se prosternait bruyamment au son de la clochette de l’introït. La signora était enveloppée d’un grand voile noir, et ses mains le retinrent croisé sur son visage pendant quelques instans. Elle ne me parlait point, elle courbait sa belle tête, comme si elle fût venue à l’église pour prier ; mais, malgré tous ses efforts pour me paraître calme, je vis que son sein était oppressé, et qu’au milieu de son audace elle était frappée d’épouvante. Je n’osais la rassurer par des paroles tendres, car je la savais prompte à la repartie ironique, et je ne prévoyais pas quel ton elle prendrait avec moi en cette circonstance délicate. Je comprenais seulement que plus elle s’exposait