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LA DERNIÈRE ALDINI.

bruit humain. Toutes les grilles du parc étaient fermées, et je remarquai que dans la grande allée, d’où l’on apercevait le bas de la façade, on avait abattu de gros arbres, dont le branchage touffu interceptait complètement la vue. Était-ce à dessein qu’on avait dressé ces barricades ? Était-ce une vengeance du cousin ? Était-ce une précaution de la tante ? Était-ce une malice de mon héroïne elle-même ? Si je le croyais ! me disais-je. Mais je ne le croyais pas. J’aimais bien mieux supposer qu’elle gémissait de mon absence et de sa captivité, et je faisais pour sa délivrance mille projets plus ridicules les uns que les autres.

En rentrant à Cafaggiolo, je trouvai dans la chambre de la Checchina une belle villageoise, que je reconnus aussitôt pour la sœur de lait de la Grimani. — Voilà, me dit la Checchina qui l’avait fait asseoir sans façon sur le pied de son lit, une belle enfant qui ne veut parler qu’à toi, Lélio. Je l’ai prise sous ma protection, parce que la vieille Cattina voulait la renvoyer insolemment. Moi, j’ai bien vu à son petit air modeste que c’est une honnête fille, et je ne lui ai pas fait de questions indiscrètes. N’est-ce pas, ma pauvre brunette ? Allons, ne soyez pas honteuse, et passez dans le salon avec M. Lélio. Je ne suis pas curieuse, allez ; j’ai autre chose à faire qu’à tourmenter mes amis.

— Venez, ma chère enfant, dis-je à la soubrette, et ne craignez rien ; vous n’avez affaire ici qu’à d’honnêtes gens.

La pauvre fille restait debout, éperdue, et triste à faire pitié. Bien qu’elle eût eu le courage de cacher jusque-là le motif de sa visite, elle tirait de sa poche, et montrait à demi, dans son trouble, un billet qu’elle y renfonçait de nouveau, partagée entre le soin de son honneur et celui de l’honneur de sa maîtresse. — Oh ! mon Dieu ! dit-elle enfin d’une voix tremblante, si madame allait croire que je viens ici dans de mauvaises intentions !… — Moi ! je ne crois rien du tout, ma pauvrette, s’écria la bonne Checchina en ouvrant un livre et en lisant au travers d’un lorgnon, bien qu’elle eût une vue excellente, car elle croyait qu’il était de bon air d’avoir les yeux faibles. — C’est que madame a l’air si bon, et m’a reçue avec tant de confiance, reprit la jeune fille. — Votre air inspire cette confiance à tout le monde, repartit la cantatrice, et si je suis bonne avec vous, c’est que vous le méritez. Allez, allez, je ne suis pas indiscrète, contez vos affaires à M. Lélio, cela ne me fâchera pas le moins du monde. Allons, Lélio, emmène-la donc ! Pauvre petite ! elle se croit perdue. Va, mon enfant, les comédiens sont d’aussi braves gens que les autres, sois-en sûre.