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AUSONE ET SAINT PAULIN.

près du tombeau de saint Félix une espèce de monastère, composé d’un petit nombre de personnes, parmi lesquelles se trouvait sa compagne Therasia. Il fonda comme une petite Thébaïde sous le ciel de la Campanie, et depuis ce moment sa vie fut consacrée à un sentiment qui peut nous paraître étrange, mais qui, comme tout sentiment désintéressé et durable, a droit au respect. Dès-lors, le tendre culte que Paulin avait voué à la mémoire de saint Félix lui inspira presque tous ses vers. Chaque année, pour l’anniversaire de la mort de son saint bien-aimé, il composait un poème en son honneur. Nous avons quinze de ces poèmes. Cette sorte de culte d’un patron qu’on s’est choisi dans le ciel a pour base un sentiment bien naturel au cœur humain. Chacun de nous, en s’examinant, trouverait peut-être qu’il a une préférence décidée, une admiration choisie, pour quelque grand homme auquel il aimerait surtout à ressembler. C’est une prédilection de ce genre qui avait fait choisir saint Félix à Paulin entre tous les saints du christianisme. Il serait à désirer qu’on sût quel a été le personnage qu’a particulièrement admiré chaque homme remarquable. Il n’est pas indifférent que le héros favori du cardinal de Retz fût Catilina, que le saint de Fénelon fut saint François de Sales. Ce sentiment est tellement fondé sur la nature du cœur de l’homme, il est tellement analogue à toutes les autres affections humaines, qu’il peut emprunter leur langage aux plus passionnés.

Paulin, pour exprimer le désir qu’il a de se consacrer au culte de saint Félix, emploie des expressions qu’un grand poète, Goethe, a mises dans la bouche d’un autre grand poète, le Tasse, s’adressant à l’objet de son idéal amour. Voici ce que dit saint Paulin à saint Félix :

« Je garderai la porte de ton sanctuaire ; le matin, je balayerai ton seuil ; je consacrerai mes nuits à de pieuses veilles dans ton temple[1]. »

Voici ce que le Tasse dit à Éléonore :

« Oh ! laisse-moi le soin de ton palais ! J’ouvrirai les fenêtres à propos pour que l’humidité n’altère pas les tableaux. Je nettoierai avec un balai léger les murs ornés de marbres précieux. »

Aux yeux de tous deux, la ferveur de l’adoration relève les soins les plus vulgaires. Chez l’amant et chez le saint ce sont des détails semblables ; c’est la même naïveté et presque la même passion.

Les poésies annuelles consacrées par saint Paulin à la mémoire de saint Félix nous présentent, en plusieurs endroits, des tableaux

  1. Natalis, I.