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LA DERNIÈRE ALDINI.

bien mal élevée, vous le voyez, elle m’a horriblement gâtée… mais elle est si bonne, si douce, si tendre, si triste… Elle m’aime tant… si vous saviez !… Une grosse larme roula sur la noire paupière de la signora ; elle essaya quelques instans de la retenir, mais elle vint tomber sur sa main. Ému, pénétré et terrassé enfin par le terrible dieu avec lequel on ne joue pas en vain, je portai mes lèvres sur cette belle main, et je dévorai cette belle larme, poison subtil qui mit le feu dans mon sein. J’entendis revenir le cousin, et me levant précipitamment : — Adieu, signora, lui dis-je, je vous obéirai aveuglément, je le jure sur mon honneur : si monsieur votre cousin m’offense, je me laisserai insulter ; je serai lâche plutôt que de vous faire verser une seconde larme… Et, la saluant jusqu’à terre, je me retirai. Le cousin ne me parut pas si belliqueux qu’elle me l’avait dépeint, car il me salua le premier, lorsque je passai devant lui. Je me retirai lentement, pénétré de tristesse, car j’aimais, et je devais ne pas revenir. En devenant sincère, mon amour devenait généreux. Je me retournai plusieurs fois pour essayer de voir la robe de velours de la signora ; mais elle avait disparu. Au moment où je franchissais la grille du parc, je l’aperçus dans une petite allée qui longeait la muraille intérieurement. Elle avait couru pour se trouver là en même temps que moi, et elle s’efforçait de prendre une démarche lente et rêveuse pour me faire croire que le hasard amenait cette rencontre ; mais elle était tout essoufflée, et ses beaux bandeaux de cheveux noirs s’étaient dérangés le long des branches qu’elle avait rapidement écartées pour venir à travers le taillis. Je voulus m’approcher d’elle, elle me fit un signe comme pour m’indiquer qu’on la suivait. J’essayai de franchir la grille ; je ne pouvais pas m’y décider. Elle me fit alors un signe d’adieu accompagné d’un regard et d’un sourire ineffables. En cet instant elle fut belle comme je ne l’avais encore point vue. Je mis une main sur mon cœur, l’autre sur mon front, et je m’enfuis, heureux et amoureux déjà comme un fou. Les branches avaient frémi à quelques pas derrière la signora ; mais, là comme ailleurs, le cousin n’arrivait pas à temps : j’avais disparu.

Je trouvai chez moi une lettre de la Checchina. « Je me suis mise en route dimanche pour aller te rejoindre, me disait-elle, et me reposer sous les doux ombrages de Cafaggiolo des fatigues du théâtre. J’ai versé à San-Giovanni ; j’en suis quitte pour quelques contusions, mais ma voiture est brisée. Les maladroits ouvriers de ce village me demandent trois jours pour la réparer. Prends ta calèche, et viens me chercher, si tu ne veux que je périsse d’ennui dans cette auberge