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muse en Italie sous le règne du grand Napoléon. Je voulais me retirer il y a une heure, et c’est vous qui ne l’avez pas voulu.

— Je ne l’ai pas voulu ? osez-vous dire que je ne l’ai pas voulu ?

— Je voulais dire, signora, que vous n’y avez pas songé, car j’attendais que vous me donnassiez un prétexte pour me retirer d’une manière tant soit peu vraisemblable au beau milieu de ma besogne, et il m’était impossible, quant à moi, de l’imaginer. Cela serait si peu naturel dans l’état où est le piano, et j’ai une si ferme volonté de ne rien faire qui vous compromette, que je reviendrai demain…

— Vous ne le ferez pas…

— J’en demande bien pardon à votre seigneurie, je reviendrai.

— Et pourquoi donc, monsieur ? et de quel droit ?

— Je reviendrai pour satisfaire la curiosité du seigneur Hector, qui est fort intrigué de savoir qui je suis, et j’y reviendrai du droit que vous m’avez donné de faire face à l’homme avec qui vous avez voulu rire de moi.

— Est-ce une menace, seigneur Lélio ? dit-elle en cachant sa frayeur sous le manteau de son orgueil.

— Non, signora. Un homme qui ne veut pas reculer devant un autre homme n’est pas un homme qui menace.

— Mais mon cousin ne vous a rien dit, monsieur ; c’est contre son gré que je vous ai fait ces plaisanteries.

— Mais il est jaloux et querelleur… De plus, il est brave. Moi, je ne suis pas jaloux, signora, je n’en ai ni le droit ni la fantaisie. Mais je suis querelleur aussi, et peut-être que, moi aussi, bien que je ne m’appelle pas Grimani, je suis brave ; qu’en savez-vous ?

— Oh ! je n’en doute pas, Lélio ! s’écria-t-elle avec un accent qui me fit frémir de la tête aux pieds, tant il était différent de ce que j’entendais depuis trois jours.

Je la regardai avec surprise ; elle baissa les yeux d’un air à la fois modeste et fier. Je fus désarmé encore une fois. — Signora, repris-je, je ferai ce que vous voudrez, rien que ce que vous voudrez, comme vous le voudrez.

Elle hésita un instant. — Vous ne pouvez pas revenir comme accordeur de pianos, dit-elle, vous me compromettriez, car mon cousin va certainement dire à ma tante qu’il vous soupçonne d’être un chercheur d’aventures galantes, et si ma tante le sait, elle le dira à ma mère. Or, monsieur Lélio, sachez que je ne me soucie que d’une personne au monde, c’est de ma mère ; que je ne crains qu’une chose au monde, c’est le déplaisir de ma mère. Elle m’a pourtant