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— Cette dureté est fort inutile, ma cousine. Il paraît que je vaux du moins la peine que vous cherchiez l’occasion de m’adresser des paroles mortifiantes.

— Mais, pour Dieu, de quoi parlez-vous, mon cousin ? et pourquoi dites-vous que cet homme…

— Je dis que cet homme n’est point un accordeur de piano, qu’il n’accorde pas votre piano, qu’il n’a jamais accordé aucun piano. Je dis qu’il ne vous quitte pas de l’œil, qu’il épie tous vos mouvemens, qu’il aspire toutes vos paroles. Je dis que c’est un homme qui vous aura vue quelque part, à Naples ou à Florence, au théâtre ou à la promenade, et qui est tombé amoureux de vous.

— Et qui s’est introduit ici sous un déguisement, pour me voir et pour me séduire peut-être ! l’infâme ! le scélérat ! — En prononçant ces paroles d’un ton emphatique, la signora se renversa sur un banc en riant aux éclats. Comme je vis le cousin s’approcher de la porte du salon d’un air presque furieux, je retournai à mon poste, et m’armant du marteau d’accordage, je résolus de l’en assommer s’il essayait de m’outrager ; car j’avais déjà pressenti l’homme qui s’arrange de manière à ne pas se battre, et qui appelle ses valets quand on le brave à portée de l’antichambre. Il tombera raide mort avant de tirer le cordon de cette sonnette, pensai-je en serrant le marteau dans ma main et en jetant un rapide regard autour de moi. Mais mon aventure ne garda pas long-temps cette tournure dramatique.

Je revis la signora au bras de son cousin, se promenant sur la terrasse, et de temps en temps s’arrêtant devant la porte de glaces entr’ouverte, pour me regarder, elle, d’un air railleur, lui, d’un air embarrassé. Je ne savais plus ce qui se passait entre eux, et la colère me montait de plus en plus à la gorge.

Une jolie soubrette se trouva tout d’un coup en tiers sur la terrasse. La signora lui parlait d’un ton animé, tantôt riant, tantôt prenant un air absolu. La soubrette semblait hésiter ; le cousin semblait supplier sa cousine de ne pas faire d’extravagance. Enfin la soubrette vint à moi d’un air confus, et me dit en rougissant jusqu’à la racine des cheveux : — Monsieur, la signora m’ordonne de vous dire, en propres termes, que vous êtes un insolent, et que vous feriez bien mieux d’accorder le piano que de la regarder comme vous faites. Pardon, monsieur… Je crois bien que c’est une plaisanterie. — Et je le prends ainsi, répondis-je ; mais répondez à la signora que je lui présente mon profond respect, et que je la prie de ne pas me croire assez insolent pour la regarder. Je n’y pensais pas le moins du monde ;