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AUSONE ET SAINT PAULIN.

de campagnes fertiles qu’enferme l’Espagne entre ses deux mers ? — Elles valent bien les landes de Bazas. » Mais il se reprocherait de répondre aux attaques d’Ausone par des railleries.

L’exhortant à son tour à laisser des déités vaines et à se tourner vers le Dieu véritable. « N’invoque pas les muses qui ne sont qu’un néant et un vain nom. Les vents emporteraient ces vœux inutiles. Les vœux qui ne s’adressent pas à Dieu s’arrêtent dans la région des nuages, et ne pénètrent pas dans le palais étoilé du grand roi. Si tu désires mon retour, tourne ton regard et ta prière vers celui dont le tonnerre secoue les voûtes enflammées du ciel, qui brille des triples lueurs de la foudre, et ne se contente pas de faire résonner les airs d’un vain bruit, qui prodigue aux moissons les pluies et les soleils, qui, supérieur à tout ce qui est, et tout entier partout, gouverne l’univers par son verbe qu’il y a répandu. »

Après ces grandes paroles, revenant encore une fois au rôle de disciple :

« Si Dieu a vu en moi quelques qualités qui me rendaient propre à ses desseins, grace t’en soit rendue avant tous ! toi, aux préceptes duquel j’ai dû la faveur du Christ. »

Ainsi, avec une délicatesse charmante, Paulin, tout en résistant à son maître, reporte sur lui le mérite de cette vie chrétienne dont il voudrait maintenant le détourner.

Enfin, il termine son épître par un morceau lyrique dont l’inspiration est vraiment sublime, et qui n’a pas échappé à M. Villemain dans son excellent travail sur les pères de l’église. Aux reproches d’abandon et d’ingratitude, il oppose une perfection d’amitié plus haute que lui enseigne le christianisme ; il promet à son maître un inviolable attachement, non-seulement ici-bas, mais aussi dans cette vie à venir que la foi promet à l’espérance.

« Pendant tout l’espace de temps qui est accordé aux mortels, tant que je serai contenu dans ce corps qui m’emprisonne, par quelque distance que nous soyons séparés, dans quelque monde, sous quelque soleil que je vive, je te porterai cloué dans mes entrailles (fibris insitum), je te verrai par le cœur, je t’embrasserai tendrement par l’ame ; partout tu me seras présent, et lorsque, affranchi de cette prison, je m’envolerai de la terre, en quelque région que le père commun place ma demeure, là encore je te garderai dans mon ame. La mort qui me séparera de mon corps ne me détachera pas de toi, car la pensée, qui est d’origine céleste et qui survit à notre chair, doit nécessairement conserver ses sentimens, ses affec-