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LA DERNIÈRE ALDINI.

l’était point à l’époque dont je vous entretiens, et que je ne devais plus ses soins affectueux qu’à la bonté de son cœur et à la fidélité de sa reconnaissance ; elle a toujours été pour moi une amie et une sœur dévouée, et s’exposa hardiment mainte fois à rompre avec ses amans les plus brillans, plutôt que de m’abandonner ou de me négliger, quand ma santé ou mes intérêts réclamaient son zèle ou son concours.

Elle s’installa donc au pied de mon lit, et ne me quitta pas qu’elle ne m’eût guéri. Son assiduité auprès de moi contrariait bien un peu le comte Nasi, qui pourtant était mon ami sincère, et se fiait à ma parole, mais qui m’avouait à moi-même ce qu’il appelait sa misérable faiblesse. Lorsque j’exhortais la Checchina à ménager les susceptibilités involontaires de cet excellent jeune homme : — Laisse donc, me disait-elle, ne vois-tu pas qu’il faut l’habituer à respecter mon indépendance ? Crois-tu que, quand je serai sa femme, je consentirai à abandonner mes amis du théâtre et à m’occuper de ce que les gens du monde penseront de moi ? N’en crois rien, Lélio, je veux rester libre et n’obéir jamais qu’à la voix de mon cœur. — Elle se persuadait assez gratuitement que le comte était bien déterminé à l’épouser ; et à cet égard, elle avait, à un merveilleux degré, le don de se faire illusion sur la force des passions qu’elle inspirait : rien ne pouvait se comparer à sa confiance en face d’une promesse, si ce n’est sa philosophique insouciance et son détachement héroïque en face d’une déception.

Je souffris beaucoup, ma maladie faillit même prendre un caractère grave. Les médecins me trouvaient dans une disposition hypertrophique très prononcée, et les vives douleurs que je ressentais au cœur, l’affluence du sang vers cet organe, nécessitèrent de nombreuses saignées. Le reste de cette saison fut donc perdu pour moi, et, dès que je fus convalescent, j’allai prendre du repos et respirer un air doux au pied des Apennins, vers Cafaggiolo, dans une belle villa que le comte possédait à quelques lieues de Florence. Il me promit de venir m’y rejoindre avec la Checchina, aussitôt que les représentations pour lesquelles elle était engagée lui permettraient de quitter Naples.

Quelques jours de cette charmante solitude me remirent assez bien pour qu’il me fut permis d’essayer, tantôt à cheval et tantôt à pied, d’assez longues promenades à travers les gorges étroites et les ravines pittoresques qui forment comme un premier degré aux masses imposantes de l’Apennin. Dans mes rêveries, j’appelais cette région le