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LA DERNIÈRE ALDINI.

sourcil, son large front, ses cheveux d’ébène, son grand œil brillant d’un sombre éclat sous un vaste orbite, et sa lèvre froide, dont le sourire n’adoucit jamais l’arc inflexible ; tout cela cependant avec une admirable fleur de jeunesse et des formes riches de santé, de souplesse et d’élégance.

— Quelle est donc cette belle fille brune, à l’air si froid ? demandai-je, dans l’entr’acte, au comte Nasi, qui m’avait pris en grande amitié et venait tous les soirs sur le théâtre pour causer avec moi.

— C’est la fille ou la nièce de la princesse Grimani, me répondit-il ; je ne la connais pas, car elle sort de je ne sais quel couvent, et sa mère ou sa tante est elle-même étrangère à nos provinces. Tout ce que je puis vous dire, c’est que le prince Grimani l’aime comme sa fille, qu’il la dotera bien, et que c’est un des plus beaux partis de l’Italie ; ce qui n’empêche pas que je ne me mettrai pas sur les rangs.

— Et pourquoi ?

— Parce qu’on la dit insolente et vaine, infatuée de sa naissance, et d’un caractère altier. J’aime si peu les femmes de cette trempe, que je ne veux seulement pas regarder celle-là lorsque je la rencontre. On dit qu’elle sera la reine des bals de l’hiver prochain, et que sa beauté est merveilleuse. Je n’en sais rien, je n’en veux rien savoir. Je ne puis souffrir non plus le Grimani : c’est un vrai hidalgo de comédie, et s’il n’avait pas une belle fortune et une jeune femme qu’on dit aimable, je ne sais qui pourrait se résoudre à l’ennui de sa conversation, ou à la raideur glaciale de son hospitalité.

Pendant l’acte suivant, je regardai de temps en temps la loge d’avant-scène. Je n’étais plus préoccupé de l’idée que j’avais là des juges malveillans, puisque ces Grimani avaient l’habitude d’un maintien superbe, même avec les gens qu’ils estimaient être de leur classe. Je regardai la jeune fille avec l’impartialité d’un sculpteur ou d’un peintre, elle me parut encore plus belle qu’au premier aspect. Le vieux Grimani, qui était avec elle sur le devant de la loge, avait une assez belle tête austère et froide. Ce couple guindé me parut échanger quelques monosyllabes d’heure en heure, et, à la fin de l’opéra, il se leva lentement et sortit sans attendre le ballet.

Le lendemain je vis le vieillard et la jeune fille à la même place et dans la même attitude flegmatique ; je ne les vis pas s’émouvoir une seule fois, et le prince Grimani dormit délicieusement pendant les derniers actes. La jeune personne me parut au contraire donner toute son attention au spectacle. Ses grands yeux étaient attachés sur moi comme ceux d’un spectre, et ce regard fixe, scrutateur et