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plaint avec douceur de la sévérité d’Ausone, reconnaissant toutefois que ses reproches ont été tempérés par l’amitié. Puis passant aux iambes, il lui dit dans un langage moins élégant et moins fleuri, mais dans lequel on sent l’accent plus ferme d’une conviction décidée : « Pourquoi m’engages-tu, ô mon père, à revenir aux muses que j’ai abandonnées ? Les cœurs voués au Christ repoussent les muses et sont fermés à Apollon. Jadis, m’associant à tes travaux avec un zèle égal, sinon avec un talent pareil, j’évoquais, ainsi que toi, Phébus, ce dieu sourd, de son antre delphique, et je nommais les muses des divinités ; je demandais aux forêts et aux montagnes la parole qui est un don de Dieu. Maintenant, ce Dieu suprême est la nouvelle puissance qui gouverne mon ame ; il réclame un autre emploi de la vie, il redemande à l’homme ce qu’il lui a donné. Celui qui ne vit que pour Dieu, qui met tout en Dieu, ne le regarde pas, je l’en conjure, comme paresseux ou pervers, ne l’accuse pas d’impiété ; la piété c’est d’être chrétien, l’impiété de ne pas être soumis au Christ. »

Après cette profession de foi, dont les expressions nettes et positives contrastent avec les rares allusions qu’Ausone fait de loin en loin au christianisme, Paulin semble vouloir adoucir la rigueur de sa réponse, en adressant à son ancien maître tout ce qu’il peut imaginer de plus tendre, de plus affectueux.

« Je te dois mes études, mes dignités, mon savoir, la gloire de ma parole, de ma toge, de mon nom. Tu m’as nourri, tu m’as instruit, tu m’as soutenu, tu es mon patron, mon instituteur, mon père. »

Ensuite, avec l’abandon caressant d’un disciple, n’insistant plus sur le motif sérieux de sa retraite et se plaçant au point de vue mondain d’Ausone, il ajoute :

« Tu te plains de ma longue absence ; tu t’irrites par l’effet d’une tendre affection. Eh bien ! ce que j’ai choisi m’est utile, ou m’est nécessaire, ou me plaît seulement ; dans tous les cas, tu dois me pardonner ; pardonne à qui t’aime, si je fais ce qu’il convient de faire ; réjouis-toi si je vis selon mon désir. »

Puis s’élevant, avec le sentiment qui grandit, à la majesté de l’héxamètre, il repousse d’abord les accusations qu’Ausone a dirigées contre lui-même, contre sa compagne et le lieu de sa retraite : « N’accuse point la faiblesse de mon esprit ou l’empire d’une épouse ; mon ame n’est point troublée comme celle de Bellérophon ; je n’ai pas une Tanaquil, mais une Lucrèce. »

L’Espagne, où il s’est retiré, n’est point un pays barbare : « Dois-je énumérer les villes ceintes de superbes remparts et entourées