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— Les quatre candidats qui se présentaient pour recueillir l’héritage de Champollion au Collége de France ont été écartés à différens titres, et la chaire d’archéologie est confiée par voie d’échange à l’un des professeurs chargés de l’élection. M. Letronne, collaborateur de Champollion dans le précis du système hiéroglyphique, consent à continuer l’enseignement de son illustre ami. Toutefois, nous devons ajouter que la chaire créée pour Champollion ne sera pas maintenue dans sa spécialité primitive. Le Collége de France ne veut plus entendre parler de la langue égyptienne, ni de ses rapports avec les vieilles écritures de l’Égypte. Il raie du programme de son enseignement les hiéroglyphes et l’idiome copte, qui nous en promet la clé. Chose étrange ! un seul des professeurs du Collége de France s’est occupé jadis sérieusement de l’idiome copte ; M. Étienne Quatremère a écrit l’histoire de cet idiome, qui était, nous dit-il, la langue vulgaire de l’Égypte dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, lorsque le culte égyptien et l’usage des caractères hiéroglyphiques étaient encore en pleine vigueur. Il a même rédigé un dictionnaire de cet idiome fort riche et fort étendu. Et cependant M. Étienne Quatremère a soutenu que la langue copte n’est absolument bonne à rien ! Il est vrai que M. Étienne Quatremère, à qui son dictionnaire de la langue copte a valu un fauteuil à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, n’a jamais rien tiré de cet idiome ; il est vrai que, depuis trente ans, il n’a rien su tirer des langues syriaque et chaldaïque, qui sans doute sont appelées à jouer dans l’explication des écritures assyriennes et babyloniennes le même rôle que la langue copte dans l’explication des écritures hiéroglyphiques. Faudra-t-il donc croire que les langues syriaque et chaldaïque sont parfaitement inutiles ? M. Étienne Quatremère semble vouloir nous amener à cette conclusion, car il a soutenu chaleureusement la candidature de M. Lajard, qui, sans savoir un mot de syriaque ni de chaldéen, a fait chez les Babyloniens et les Assyriens des découvertes merveilleuses !

La langue égyptienne repoussée d’une part dans la personne de M. Dujardin, les origines nationales étant écartées dans la personne de M. Guérard, il ne restait plus que MM. Lajard et Lenormant. MM. Étienne Quatremère et Eugène Burnouf ont paru ajouter une foi entière aux découvertes de M. Lajard ; MM. Silvestre de Sacy et Letronne ont témoigné sur ce point des doutes nombreux. Enfin, un des professeurs du Collége de France s’est rappelé fort à propos l’huître et les plaideurs de La Fontaine. Pour terminer le procès, il s’est adjugé la chaire de Champollion, et les candidats désappointés n’ont plus qu’à échanger entre eux des complimens de condoléance. Assurément, le tour est original ; mais nous voyons avec peine une réunion d’hommes éclairés répudier des études qui ont pris naissance chez nous, et qui ont fait peut-être quelque honneur à la France.

Disons que, dans cette affaire, le ministre de l’instruction publique seul a senti ce que demandait l’intérêt de la science. M. de Salvandy, appréciant toute l’importance de l’enseignement pour lequel a été créée la chaire d’archéologie du Collége de France, a proposé aux professeurs de maintenir dans cette chaire une large partie de l’enseignement qu’avait annoncé M. Champollion, en instituant, si la chose était reconnue nécessaire, une chaire nouvelle pour l’enseignement de l’archéologie générale, ou plutôt de toute branche importante de l’archéologie autre que l’archéologie égyptienne.