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REVUE. — CHRONIQUE.

sans nier la réalité des abus dont on se plaignait, que si le bill de réforme était toujours susceptible de recevoir des améliorations dans ses détails, il n’en était pas moins une mesure définitive, autant que les institutions humaines peuvent être regardées comme choses définitives. Mais dans sa pensée, dans celle de lord Grey et de lord Althorp, dans celle de la plupart des hommes d’état qui avaient voulu, fait ou accepté la réforme, c’était une mesure définitive et complète pour long-temps. Il ne se prêterait pas à refaire, tous les quatre ou cinq ans, une pareille expérience au gré de passions ou de théories impatientes, qui devançaient de beaucoup trop loin les progrès du pays et les changemens réels de la société. Lord John Russell a caractérisé d’une manière encore plus nette ces déclarations déjà si graves dans sa bouche. Il a dit que l’importance acquise dans la chambre des communes par les représentans des comtés, qui le sont en même temps de l’intérêt agricole, était au nombre des résultats prévus et désirés du bill de réforme, annonçant ainsi l’intention de ménager une classe influente, et d’y recruter des alliés.

Tel est le langage que lord John Russell a tenu deux jours de suite, la seconde fois en réponse aux violentes attaques de M. Leader, qui s’est constitué le défenseur officiel des mécontens canadiens contre les résolutions adoptées par le gouvernement anglais. Souvent applaudi par les tories, ce langage a été reçu par les radicaux comme une déclaration de guerre, ou du moins comme le symptôme d’une éclatante rupture, et le prix d’une coalition, dont ils font les frais, entre le ministère et la partie flottante des conservateurs. L’irritation qu’il a produite, contenue dans l’enceinte de la chambre, n’en a fait que plus vivement explosion au dehors, dans une de ces réunions populaires où les membres radicaux des communes deviennent, bon gré mal gré, solidaires des extravagances débitées par quelques tribuns de bas étage. M. O’Connell, évidemment fort embarrassé, et qui est en ce moment même obligé de se défendre contre M. Crawford d’une accusation de ministérialisme, a cru devoir déclarer qu’il n’était plus whig-radical, mais radical dans toute la force du terme, purement et simplement. Après tout, il est douteux que les choses aillent plus loin de quelque temps ; le parti radical n’est pas assez fort pour essayer de marcher seul dans sa voie, et le ministère peut encore compter sur son assistance dans plusieurs questions où les tories ne sont pas disposés à se rendre sans combat. Mais le ministère whig n’en a pas moins repris sa véritable place à la tête des affaires, tandis que depuis deux ans il paraissait à la suite d’une opinion qui le dominait, le protégeait, et le lui faisait sentir. C’est de la chambre des lords qu’il dépend de hâter la décomposition entière de l’ancienne majorité réformiste. Les concessions qu’elle fera sur les questions relatives à l’Irlande contribueront de plus en plus à détacher le cabinet des radicaux dans la chambre des communes, parce qu’il n’aura plus besoin d’emprunter leurs menaces et leurs théories révolutionnaires pour réduire l’opiniâtre résistance de la pairie. Du reste, le parti tory se ferait une grande illusion, s’il se croyait près de