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AUSONE ET SAINT PAULIN.

lure des pins converse d’une voix tremblante avec les vents… Toi seul, ô Paulin ! tu gardes le silence[1].

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« Ô mon cher Paulin, tu as bien changé ! Voilà ce qu’ont produit ces montagnes de la Vasconie, ces neigeuses retraites des Pyrénées et l’oubli de notre ciel… Que l’impie qui t’a conseillé ces longs silences soit privé de l’usage de la voix ! que, triste et pauvre, il habite les solitudes ! Que muet, il parcoure les sommets des montagnes, comme on dit qu’autrefois, privé de la raison, fuyant les assemblées et les traces des hommes, Bellérophon erra dans les lieux déserts ! Ô muse, divinité de la Béotie, exaucez cette prière, et rendez un poète aux muses latines ! »

Ainsi, c’est aux muses païennes que le poète demande de lui rendre le solitaire chrétien. La conclusion ne saurait être plus clairement mythologique. Ailleurs, il appelle le néophyte lui-même un impie. « Impie ! lui dit-il, tu pourrais séparer Hercule de Pirithoüs, Nisus d’Euriale ! »

Pour Ausone, l’excès de la piété chrétienne était une impiété envers les muses et l’amitié.

Cette distraction païenne du poète achève de le peindre, et remarquez que dans ces épîtres, animé d’un sentiment assez hostile au christianisme, Ausone a cependant mis deux vers chrétiens, comme pour l’acquit de sa conscience. Mais cette concession, faite en passant à sa religion officielle, ne tire pas à conséquence, et il revient bientôt, avec toute l’ardeur dont il est capable, à sa religion littéraire qui est le paganisme.

Si Paulin ne répondait pas, c’est qu’il n’avait pas reçu les lettres de son ami. Elles ne lui arrivèrent qu’au bout de quatre ans. Il y répondit. Nous avons sa réponse à celle des épîtres d’Ausone qui est perdue, et qui était écrite en trois sortes de vers. Quoique Paulin fût devenu un saint, il se souvenait de ses études poétiques, et peut-être, par un reste de vanité littéraire, il voulut déployer la même variété de mètre ; commençant par des vers élégiaques, il se

  1. Est et arundineis modulatio musica ripis
    Cumque suis loquitur tremulum coma pinea ventis.

    Ces vers ont un charme et une musique qui rappellent Gray ou Lamartine. De telles rencontres sont rares chez Ausone. Ici même il gâte, par des variations malheureuses et trop prolongées, le motif dont il a tiré d’abord des effets si heureux. Il oppose, au silence de Paulin, le bruit des sistres d’Égypte et le retentissement des bassins d’airain de Dodone. L’érudition arrive, et noie bien vite cette fleur de poésie, née de fortune sur une terre aride.