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DE L’ART RELIGIEUX EN FRANCE.

quence ridicule et illégale, mais passée en usage dans nos mœurs administratives, il n’a plus le droit exclusif d’accepter ou de rejeter les œuvres d’art qu’on y place, les travaux qu’on y fait ; qu’il ne lui est pas libre de s’opposer aux déprédations qu’y commettent les architectes municipaux, ni d’empêcher le gouvernement de s’habituer à regarder les églises comme autant de galeries où il lui est loisible d’exposer à demeure les tableaux soi-disant religieux que la protection d’un député ou le caprice d’un employé subalterne aura fait acheter. Cela n’est que trop vrai ; mais il n’en est pas moins positif que le clergé fait exécuter une foule de travaux importans pour son propre compte ; c’est sur ceux-là que roulent nos observations précédentes. Il y a, en outre, beaucoup de petites communes en France qui, pour devenir paroisses et avoir un curé à elles, s’imposent de grands sacrifices pour construire à leurs frais des églises, sans autres conseils que ceux des prêtres du voisinage, sans autre surveillance que la leur. Ce serait là une voie aussi naturelle qu’honorable de rentrer dans le vrai. D’un autre côté, il est malheureusement incontestable que le clergé n’a pas encore manifesté le moindre symptôme d’opposition au vandalisme des architectes officiels, au scandale des tableaux périodiquement octroyés aux églises. Il le pourrait cependant, nous en sommes persuadé, en s’appuyant sur ses droits imprescriptibles, et sur des textes de lois dont l’interprétation est abusive. Il le pourrait bien mieux encore en invoquant le bon sens et le bon goût du public, qui ne manquerait pas de réagir aussi sur l’esprit de l’administration. Il y aurait unanimité chez les gens de goût, chez les véritables artistes, pour venir au secours d’une protestation semblable de la part du clergé : l’opinion est délicate et sûre en ces matières, comme on l’a vu récemment lors des sages restrictions mises par M. l’archevêque de Paris à l’abus de la musique théâtrale dans les églises ; la victoire serait bientôt gagnée. Quant à nous, si nous avions l’honneur d’être évêque ou curé, il n’y a pas de force humaine qui put nous contraindre à consacrer des églises comme Notre-Dame-de-Lorette, à accepter des statues comme celles qu’on destine à la Madeleine, à subir des tableaux comme ceux que l’on voit dans toutes les paroisses de Paris, avec une pancarte qui annonce pompeusement qu’ils ont été donnés par la ville ou le gouvernement. En outre, si nous avions l’honneur d’être évêque ou curé, nous ne confierions jamais, pour notre propre compte, des travaux d’art religieux à un artiste quelconque, sans nous être assuré, non-seulement de son talent, mais de sa foi et de sa science en matière de religion : nous ne lui demanderions pas combien de tableaux il a exposés au Salon, ni sous quel maître païen il a appris à manier les pinceaux ; nous lui dirions : « Croyez-vous au symbole que vous allez représenter, au fait que vous allez reproduire ? ou, si vous n’y croyez pas, avez-vous du moins étudié la vaste tradition de l’art chrétien, la nature et les conditions essentielles de votre entreprise ? Voulez-vous travailler, non pour un vil lucre, mais pour l’édification de vos frères et l’ornement de la maison de Dieu et des