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deur et de la faiblesse de notre temps, voudraient lancer l’art dans des voies inconnues et impossibles à déterminer, au risque de le voir s’égarer ou périr d’impuissance. Ils parlent bien des conditions essentielles à l’art religieux en général, ils connaissent les produits de l’ancien art chrétien, ils les apprécient même sous quelques rapports, ils les ont étudiés avec plus ou moins de conscience et de profondeur ; mais, entraînés par je ne sais quelle impulsion humanitaire, ils font chorus avec les adorateurs du paganisme et de la renaissance pour déclamer contre le moyen-âge en général, pour confondre l’art de cette époque dans leurs rancunes contre la féodalité, pour protester contre toute tendance qui semblerait ressusciter cette époque, même en peinture. Ils veulent qu’on n’étudie les chefs-d’œuvre du passé chrétien que le temps nécessaire pour asseoir un jugement souvent superficiel sur des noms trop ignorés, pour leur assigner une place honorable dans la grande révolution de l’humanité ; après quoi ils lancent l’art dans un orbite immense et vague, dont il est impossible de découvrir le but au milieu de leurs formules éclectiques, dont il est impossible surtout de retirer aucune application pratique pour réparer les dommages et combler les vides des temps où nous vivons. En un mot, ils veulent faire une philosophie de l’art. Déplorable erreur ! nous ne craignons pas de le dire, du moins en ce qui touche à l’art religieux, si cette philosophie ne doit consister, comme celle qu’on nous offre, qu’en un certain nombre de formules arbitraires, qui nous autoriseront à renier le passé pour nous livrer aveuglément aux hasards de l’avenir. Malheur à l’art, si cette tendance se communiquait à beaucoup de jeunes artistes ; sa régénération chrétienne deviendrait impossible. Qu’on le sache donc bien. Il en est de l’art religieux comme de la religion elle-même. Quand on est réduit à faire de la philosophie religieuse, c’est qu’il n’y a plus de religion ; quand on fait de la philosophie de l’art, c’est qu’il n’y a plus d’art. Dans l’art chrétien, il ne peut y avoir rien de nouveau au fond, pas plus que dans le christianisme lui-même. L’un tient à l’autre par d’indissolubles nœuds. D’ailleurs, n’invente pas qui veut ; ceux-là surtout qui croient et qui veulent inventer sont justement ceux qui inventent le moins. Le génie, dans l’art comme dans tout, n’a jamais été le fruit de la préméditation, du calcul ou du raisonnement ; c’est le fruit de ce que les uns appellent le hasard, et les autres l’inspiration d’en haut. Il y a une fin de non-recevoir bien facile à opposer aux auteurs de ces théories ambitieuses : c’est de leur demander ce qu’il faut donc faire actuellement pour bâtir et orner nos églises, et répondre aux divers besoins des masses religieuses, en attendant qu’eux ou les artistes qu’ils ont en vue, s’il y en a, aient inventé quelque nouveau progrès. Quant à nous, nous répondrons franchement qu’il faut tout bonnement marcher sur les traces des grands artistes chrétiens, au risque de se borner à les copier et de procurer à ses œuvres la terrible dénomination de pastiches. Le champ du véritable art chrétien est, Dieu merci ! assez vaste, depuis les peintures des catacombes jusqu’à la Dispute du Saint-Sacrement, depuis les