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AUSONE ET SAINT PAULIN.

cette tristesse grave et tendre, qui n’est pas la misantropie satirique de Timon, qui n’est pas l’ironie amère et désespérée de l’Ecclésiaste, mais qui est tempérée par la charité et adoucie par l’espérance.

Écoutons Paulin lui-même nous raconter les dispositions de son ame et les circonstances de sa vie qui déterminèrent sa conversion.

« L’âge qui s’avançait, la considération qui m’a entouré dès mes plus jeunes années, ont pu hâter la gravité de mes mœurs ; la faiblesse de mon corps, mon sang déjà refroidi (decoctior caro), ont pu émousser chez moi le désir des voluptés ; en outre, cette vie mortelle, si fréquemment exercée par les peines et les tristesses, a pu m’inspirer l’éloignement des choses qui me troublaient et augmenter mon amour pour la religion par l’effroi du doute et la nécessité de l’espérance. Enfin, j’ai trouvé où me reposer des calomnies et des voyages ; délivré des affaires publiques, enlevé au tumulte du barreau, j’ai célébré le culte de l’église au sein du repos des champs, dans une agréable tranquillité domestique, de sorte qu’ayant peu à peu retiré mon ame des agitations du siècle, l’ayant accommodée par degré aux divins préceptes, j’ai passé insensiblement, et comme d’une route voisine, au mépris du monde et à la société du Christ. »

Dans cette confession très naïve, on surprend les sentimens les plus intimes de saint Paulin, et l’on peut par elle se faire une idée des dispositions dans lesquelles se trouvaient beaucoup d’ames auxquelles le christianisme s’offrait ainsi qu’un abri contre les agitations et les tristesses du monde, et qui, à l’exemple de l’ame douce et tendre de Paulin, se réfugiaient dans la religion, comme une colombe rentre dans son nid.

Dans d’autres vers de saint Paulin reparaissent ces teintes de mélancolie religieuse : « Tout l’homme est de peu de durée ; c’est comme un corps qui se dissout, comme un jour qui tombe ; sans le Christ, c’est une poussière, une ombre[1]. »

Paulin quitta l’Aquitaine pour l’Espagne vers 390. Il resta quatre ans dans ce dernier pays ; pendant ces quatre années s’accomplit ce qu’on pourrait appeler son initiation au christianisme. Quelques pièces de vers composées durant cet intervalle nous montrent les divers degrés par lesquels passèrent l’ame et la pensée du néophyte chrétien. La prière appartient probablement aux premiers temps de cette retraite en Espagne. Paulin n’en est pas où en est Ausone dans l’Ephemeris ; il ne place pas, comme son maître, une oraison à la Trinité immédiate-

  1. Quidquid homo breve est, ut corporis ægri
    Temporis occidui, sine Christo pulvis et umbra.