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DE L’ART RELIGIEUX EN FRANCE.

d’humanitaire, il n’est que divin, à ce que nous croyons ; du moins il n’est nullement progressif, il est encroûté (pour me servir d’un terme familier et emprunté à l’art), d’où il suit que les œuvres d’art qu’il est censé inspirer ne doivent et ne peuvent être qu’encroûtées comme lui. Plein de respect pour la critique et pour la philosophie, nous leur laissons le domaine intact et l’usage exclusif de tous les tableaux de batailles, de toutes les scènes historiques, des marines, des paysages, de la peinture de genre dans toutes ses branches intéressantes : nous leur laissons les masses d’infanterie et de cavalerie savamment échelonnées, les assemblées politiques et populaires d’hommes en frac, les intérieurs, les cuisines, les plats de fruits avec des mouches qui en dégustent délicatement le suc, le lever et le coucher des grisettes, les pêcheurs d’huîtres, les intérieurs de chenil, les belles dames en robe de satin, et les notabilités municipales en habit de garde national ; en un mot, tous les sujets qui, depuis la renaissance, inspirent la peinture moderne, et réjouissent le public civilisé. Nous ne nous réservons absolument que le droit de parler sur le tout petit coin qui est laissé à l’art religieux, ou, pour parler plus justement, à l’art catholique, ou encore pour être intelligible aux hommes les plus éclairés, à l’art concentré dans le domaine du fanatisme et de la superstition.

Qu’on se rassure donc, il ne s’agit nullement pour nous de savoir si l’art en général sera catholique ou non. C’est là tout bonnement la question de la destinée du monde. Il est certain que si la société tout entière redevenait catholique, l’art le serait aussi, bon gré mal gré ; mais il est également certain que, si cela arrive jamais, ce ne sera pas de nos jours, et que tout le monde aura le temps d’y penser. Quant à nous, nous ne nous occupons que du présent, et voici ce que nous en disons : Il est de fait qu’actuellement en France il y a beaucoup d’hommes fanatiques et superstitieux, dits catholiques, et que ces catholiques ont des églises vastes et nombreuses, publient des livres de piété illustrés, ornent des chapelles et des oratoires, pour lesquelles églises, oratoires, chapelles, livres illustrés et autres, les artistes de nos jours, grands et petits, font tous les ans une foule de tableaux, estampes, lithographies, statues, bas-reliefs en carton-pierre et en marbre. Il semblerait, au premier abord, que tous ces divers objets d’art, étant à l’usage exclusif des gens religieux, dussent porter quelque trace de l’esprit de leur religion même. Eh bien ! il n’en est rien. Au milieu du fractionnement général de la société, fractionnement que l’art a suivi de manière à administrer à chacun selon ses besoins et ses idées, la fraction des hommes qui usent du culte, comme dit M. Audry de Puyraveau, soit en théorie, soit en pratique, cette fraction est comme la tribu de Lévi ; elle n’a rien, ou plutôt moins que rien, pire que rien, car elle est inondée de produits divers qui lui sont inintelligibles et inutiles, ou bien antipathiques et injurieux. Avez-vous les goûts militaires ? MM. Horace Vernet, Bellangé, Eugène Lamy, et mille autres, sont là pour vous pourvoir abondamment de toutes les batailles que