Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/585

Cette page a été validée par deux contributeurs.
581
ERNEST MALTRAVERS.

par ses études de chaque jour, à les comprendre, à les pénétrer mieux et plus vite que la foule. L’homme applaudi qui nie obstinément le mérite de ses rivaux prouve qu’il se sent incomplet, et qu’il craint d’être effacé. La négation dans sa bouche est un aveu maladroit. Quant à la médiocrité, l’envie est pour elle une consolation et une vengeance. Lasse de l’obscurité où elle se débat, elle attaque résolument tous les hommes que la faveur publique environne ; elle s’efforce de ternir les plus beaux noms, et elle espère en niant tout ce qui grandit autour d’elle, sinon s’élever, du moins être aperçue. M. Bulwer a donc bien fait de loger l’envie au cœur de Castruccio ; mais peut-être convenait-il de mettre, dans l’expression des tourmens que l’envie inflige à la médiocrité, plus d’adresse et de réserve. L’envie, sous peine de manquer à sa nature, ne va jamais tête haute. Quand elle se plaint et se lamente, ce n’est pas en son nom, mais au nom de la justice et de la vérité qu’elle prétend méconnues. Elle ne reproche pas en face à l’homme heureux le bonheur dont il jouit ; elle va choisir dans l’ombre un homme justement ignoré, et tâche d’appeler sur lui l’attention de la foule. Elle exalte avec emphase le génie qu’elle a déniché, et l’oppose au poète couronné, pour réparer, dit-elle, un oubli injurieux. Castruccio joue son rôle d’envieux avec une brutalité qui fait honneur à M. Bulwer. Si l’auteur d’Ernest Maltravers eût étudié avec plus de soin un sentiment qu’il paraît n’avoir jamais éprouvé, il se fût abstenu de placer sur les lèvres de Castruccio des reproches pleins de franchise que l’envie ne peut prononcer.

Médiocre et envieux, Castruccio devrait, pour être fidèle à son rôle, ne pas manquer de clairvoyance. Puisqu’il a résolu de ternir la gloire qu’il ne peut contempler sans souffrance, il devrait ne demander qu’à lui-même le moyen d’accomplir son dessein. Dans le roman de M. Bulwer, contre toute vraisemblance, Castruccio obéit à Lumley Ferrers, comme s’il était personnellement incapable d’agir et de penser. Il se prête aux projets de Lumley sans même prendre le temps de les pénétrer complètement. Il agit contre son ennemi aveuglément, sans mesurer les coups qu’il lui porte, sans ménager sa retraite. Loin de se conduire d’après les conseils de l’envie, et de compter prudemment chacun des pas qui le rapprochent du but désiré, il joue le rôle d’un homme pris de vertige. Pour ma part, je l’avoue, je ne consentirai jamais à croire que Castruccio écrive sous la dictée de Lumley sans lui demander ce qu’il va écrire. Dès qu’il devient l’instrument d’une autre volonté, dès qu’il abandonne à une autre