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caprice d’écrivain à la mode. Puisque M. Bulwer se permet d’appeler l’auteur des loges Raffaelle, il n’a aucune raison pour respecter dans le baptême de ses personnages les lois de la langue italienne. Mais je lui conseille, dans l’intérêt de son amour-propre, de ne plus parler de ses voyages. Ce n’est pas la peine de passer six mois à Naples pour écrire de pareils non-sens. Le caractère de Castruccio Cæsarini est destiné à contraster avec celui d’Ernest Maltravers. Ernest représente l’homme de génie, et Castruccio la médiocrité. Malheureusement M. Bulwer a négligé de transcrire les productions de l’homme médiocre comme il avait négligé de nous faire connaître les poèmes de l’homme de génie. Nous sommes donc obligé, cette fois encore, de le croire sur parole. Il est vrai que, pour caractériser la médiocrité de Castruccio, il lui attribue plusieurs ridicules très significatifs, du moins dans sa pensée, tels qu’une longue chevelure, une toilette éclatante et singulière ; mais ces deux ridicules n’impliquent pas nécessairement la médiocrité. Il y a des hommes incapables d’écrire une page sensée qui s’habillent et se coiffent avec une simplicité parfaite ; à voir le goût qui préside à leur toilette, à leur démarche, à leurs manières, le spectateur, s’il adoptait la doctrine de M. Bulwer, serait tenté de les prendre pour des hommes supérieurs, et cependant, dès qu’ils ouvrent la bouche, leur nullité se révèle d’une façon irrécusable. Je pense que M. Bulwer, en traçant le portrait de Castruccio, s’est laissé entraîner par le désir de dessiner une caricature. Peut-être a-t-il rencontré dans les salons de Londres quelques hommes amoureux de leur personne, habitués à manger la moitié des mots, à se mirer dans toutes les glaces ; et pour se venger de l’ennui qu’ils lui ont infligé, il les a résumés dans Castruccio Cæsarini. Je crois qu’il a eu tort d’écouter sa mémoire.

Assurément il a été mieux inspiré, quand pour caractériser la médiocrité de Castruccio il s’est décidé à le faire envieux, car l’envie est généralement le partage de la médiocrité. Les hommes supérieurs, nous pouvons le voir tous les jours, ne sont pas à l’abri de la jalousie ; quand ils ont connu la gloire, il leur arrive de ne pas assister avec joie aux succès de leurs rivaux ; mais le propre des esprits vraiment éminens est de ne jamais dépasser les limites d’une loyale et généreuse émulation. Le génie qui a la conscience de ses forces applaudit franchement aux œuvres de ses rivaux, et cherche dans les poèmes qu’il n’a pas écrits l’occasion de s’instruire plutôt que de blâmer. Il admire les pensées qu’il n’a pas signées de son nom avec un parfait désintéressement, et se trouve heureux d’être préparé,